IA
Opinion

L’IA au travail : sommes-nous déjà prêts ?

22.06.2023
par Célia Berlemont

Devenue aide à la rédaction, voire nouveau joker des étudiants, l’IA telle qu’incarnée par Chat GPT fait couler beaucoup d’encre. En dehors des bancs d’école, où en est-on aujourd’hui dans le monde du travail ? Nos trois experts font le point.

IASébastien Cosentino
Porte-parole de Randstad Group

L’utilisation croissante de l’intelligence artificielle au détriment de l’engagement de certains profils est-elle déjà une réalité au sein des entreprises belges ? Quels sont les secteurs dans lesquels de nouveaux métiers ont déjà été identifiés ?

« D”après plusieurs études, notamment initiées par le Forum économique mondial, 97 millions de nouveaux postes pourraient émerger d’ici 2025, et 85 millions d’emplois pourraient disparaître sur la même période. Ce gain net de 12 millions d’emplois nécessitera l’acquisition de nouvelles compétences. Dans ce nouveau contexte, un travail d’adaptation sera à effectuer, tant au niveau des entreprises qu’au niveau des talents. Il est difficile à ce stade d’identifier en Belgique les secteurs qui seront plus concernés que d’autres, puisque c’est finalement de manière transversale que le changement va se produire et impacter la réalité de chacun des travailleurs. »

À des fins de profilage et de filtrage, certaines applications de l’intelligence artificielle se sont-elles inscrites comme des “must-have” du recrutement ?

« Dans notre secteur, l’intelligence artificielle doit être vue comme un outil complémentaire visant à faciliter une série de processus. En effet, en plus d’améliorer le matching des candidats, ces nouvelles technologies permettent aussi d’affiner le sourcing et la sélection de ceux-ci tout en facilitant la mise en contact entre les divers intervenants, qu’ils soient recruteurs ou candidats. Ce temps gagné permet aux recruteurs de pouvoir s’investir davantage dans la construction de la relation humaine, mais aussi de créer une réelle valeur ajoutée aux travers d’interactions humaines et personnelles, ce qui reste l’essence de notre travail. »

Dans un environnement de travail en constante évolution, l’intelligence artificielle apparaît-elle plus comme une menace ou plutôt comme une opportunité pour laquelle il est possible de se préparer par le biais de formations ?

« Je pense qu’il faut reconnaître à l’intelligence artificielle les vertus que cette nouvelle technologie peut apporter en complément à notre environnement RH. L’intelligence artificielle ne se substituera pas à l’intervention humaine ni aux soft skills qui ne pourront jamais être complètement et profondément automatisés. Comme dans chaque évolution technique et technologique, des adaptations seront nécessaires et il faudra que chacune et chacun puisse trouver son rôle. Par le biais de ces évolutions, la formation permet aux talents d’être toujours parfaitement alignés avec les attentes générées par ces nouvelles technologies, et ce tout au long de leur carrière. »

IAClaire Camy-Peyret
Recruteuse et sourceuse chez Strategos Consulting

L’utilisation croissante de l’intelligence artificielle au détriment de l’engagement de certains profils est-elle déjà une réalité au sein des entreprises belges ? Quels sont les secteurs dans lesquels de nouveaux métiers ont déjà été identifiés ?

« Oui, c’est déjà une réalité en Belgique et partout ailleurs ! L’IA permet une productivité plus importante. À terme, tous les secteurs seront potentiellement touchés. Cela va des secteurs dont les fonctions comportent des tâches répétitives à ceux dont les fonctions comportent de l’analyse de données : finance, légal, santé, industriel, communication et marketing et informatique. De manière générale, les tâches répétitives et prévisibles seront automatisées. Pour autant, rassurez-vous, l’IA ne remplacera pas tous les emplois (métiers manuels, de soin, d’entretien, construction, etc). Dans les secteurs précédemment cités, elle va surtout modifier la fonction au travers de nouvelles compétences requises. »

À des fins de profilage et de filtrage, certaines applications de l’intelligence artificielle se sont-elles inscrites comme des “must-have” du recrutement ?

« Au jour d’aujourd’hui, l’intelligence artificielle est déjà très présente dans le processus de recrutement en entreprise. Par exemple, on va retrouver des logiciels issus de l’IA dans les étapes de sourcing, soit l’identification des profils de candidats répondant à des compétences spécifiques pour occuper un poste, mais aussi dans celles de sélection, de suivi des candidatures et de profiling, soit l’analyse complète de la personnalité du candidat qui permet, au-delà de la performance du profil et son efficacité, de l’évaluer en le comparant à d’autres et d’apprendre ainsi à le connaître suffisamment. Donc oui, l’IA s’est d’ores et déjà imposée comme un must-have au niveau du recrutement. »

Dans un environnement de travail en constante évolution, l’intelligence artificielle apparaît-elle plus comme une menace ou plutôt comme une opportunité pour laquelle il est possible de se préparer par le biais de formations ?

« Au quotidien, l’utilisation de l’IA sera un atout pour les collaborateurs. Elle leur permettra non seulement de gagner du temps, mais leur évitera aussi de devoir réaliser des tâches chronophages et répétitives sans valeur ajoutée. Dans un contexte d’évolution, j’estime que lorsque le train est déjà parti, il est préférable de monter dedans plutôt que de rester à quai. C’est pourquoi, à l’avenir, ceux et celles qui souhaitent s’y préparer, s’y former et en tester les applications de manière proactive s’ouvriront une série de portes qui viendront répondre à des créations de postes, des transformations de métiers existants et des transformations des responsabilités. »

travailGiseline Rondeaux
Docteure en sciences de gestion et chargée de recherche au LENTIC 

L’utilisation croissante de l’intelligence artificielle au détriment de l’engagement de certains profils est-elle déjà une réalité au sein des entreprises belges ? Quels sont les secteurs dans lesquels de nouveaux métiers ont déjà été identifiés ?

« Non, les informations dont nous disposons ne confirment pas l’éventuelle disparition totale d’un poste lié à l’IA en Belgique et en France. Aujourd’hui, il s’agit principalement d’une transformation des métiers avec la disparition et l’apparition de certaines tâches. C’est le contenu de la fonction qui change, sans réellement impacter quantitativement l’emploi. Chez nous, on observe que l’IA en entreprise sert à des tâches d’automation, par exemple. Il s’agit d’un outil supplémentaire, d’une aide, plutôt qu’une substitution de l’homme à la machine. L’expertise métier, la compréhension humaine et le contexte jouent un rôle essentiel. On ne confierait jamais à une IA le fait de rendre des décisions de justice. »

À des fins de profilage et de filtrage, certaines applications de l’intelligence artificielle se sont-elles inscrites comme des “must-have” du recrutement ?

« L’IA offre des outils que l’on retrouve dans un nombre croissant de secteurs et d’applications (marketing, customer service, recherche, finance, etc). Ce que l’IA change, c’est la quantité de données pouvant être analysée, la vitesse d’analyse et la création de « diagnostic » de base. Dans le cadre du processus de recrutement RH, le filtrage sur base de certains critères est de plus en utilisé et constitue un gain de temps conséquent. Pour autant, de nombreux experts ne souhaitent pas laisser un logiciel prendre de décisions à leur place et préfèrent se fier à leur expertise. Les échanges humains sont l’essence même du métier de RH, il leur est donc difficilement envisageable de confier cette mission à une IA. »

Dans un environnement de travail en constante évolution, l’intelligence artificielle apparaît-elle plus comme une menace ou plutôt comme une opportunité pour laquelle il est possible de se préparer par le biais de formations ?

« Un peu les deux. Tout dépend de la nature de l’emploi. Si vous êtes dix à faire des tâches répétitives avec peu de valeur ajoutée, ce sera une menace si l’entreprise positionne sa stratégie sur la réduction d’effectifs. Par contre, pour une fonction où l’expertise métier est plus pointue, elle pourrait être une opportunité et un support qui accélèrera la réalisation de certaines tâches et la quantité de volumes traités. Ici, l’anticipation est clé pour reconnaître les métiers amenés à changer, leurs directions et la préparation nécessaire à ces changements. Renforcer son expertise métier sera alors un élément déterminant puisqu’il s’agit de la compétence que la machine aura le plus de mal à intégrer. »

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