Opinion

Réinventer la formation médicale

07.03.2024
par Thibaut Van Hoof

De la nécessité d’adapter l’enseignement aux nouvelles technologies, à la réinvention des parcours de formation, en passant par la valorisation des professions paramédicales, découvrez comment le monde médical envisage de réinventer sa formation pour répondre aux besoins de santé publique de demain.

réinventerYves Coppieters
Médecin de santé publique spécialisé en épidémiologie

Quels sont à vos yeux les plus grands défis de la formation dans le secteur médical ?

« Le premier, c’est de rendre accessibles les formations médicales qui sont liées à un examen d’entrée, notamment la médecine générale, où on manque de médecins. À commencer par augmenter le nombre de numéros INAMI. Par ailleurs, nous devons aussi stimuler les études paramédicales, dont les soins infirmiers, qui souffrent depuis la crise sanitaire. Cela passe par une revalorisation du métier à tous les niveaux, pas seulement salarial. Je pense à l’idée de donner plus de responsabilités aux infirmiers et infirmières grâce à une formation plus développée. Il faut aller vers une transposition des métiers entre les médecins, les infirmiers, les pharmaciens, etc. En somme, apprendre aux équipes à travailler de manière pluridisciplinaire. »

Et dans votre discipline, comment faire évoluer les choses ?

« Au niveau épidémiologique, il est important d’améliorer la surveillance générale des virus qui circulent. Il est indispensable de maintenir une veille sanitaire pour agir vite si un virus apparaît. La clé, c’est d’investir dans le passif pour pouvoir être actif rapidement. Au niveau de la santé publique, la prévention est la clé pour ne pas tomber malade. Il y a trop peu d’investissement et de promotion, notamment face à l’obésité. Il ne faut plus tomber dans le piège de la covid, où les malades chroniques ont été des proies faciles pour le virus. C’est prouvé : un euro investi dans la prévention, c’est sept à dix euros de bénéfice dans les cinq à dix ans qui suivent. »

Dans ce contexte, comment faire naître de nouvelles vocations ?

« En redonnant leurs lettres de noblesse à tous les métiers de la santé. Il ne s’agit pas que de passion, mais aussi de prédispositions. Au niveau humain, par exemple, il faut savoir rendre service, oser donner de la valeur à ces métiers essentiels. On oublie trop souvent que tous les métiers de la santé sont valorisants au niveau humain. Mais cette revalorisation doit aussi être financière et pratique. Il est temps d’arrêter de leur rendre la vie impossible au niveau des horaires et de la charge de travail. Nous devons revoir le système pour s’adapter aux besoins des jeunes travailleurs pour qui le travail a pris un autre sens, une autre dimension. C’est le devoir des employeurs de s’y adapter. »

vocationsYves Van Laethem
Infectiologue au CHU Saint-Pierre

Quels sont à vos yeux les plus grands défis de la formation dans le secteur médical ?

« D’abord, il y a la complexité de plus en plus grande de chaque domaine avec l’avancée des techniques et des savoirs. Il est beaucoup plus compliqué d’avoir une vision globale de la santé qu’il y a 30 ou 40 ans. Tout a évolué, en commençant par le volume des connaissances. Le rôle de l’intelligence artificielle sera primordial dans la gestion de ces connaissances. Pour le moment, la formation est encore trop formelle et factuelle, comme les communications entre un médecin, un kiné ou un pharmacien. La santé doit être une entité dans laquelle on répartit mieux les fonctions. Le médecin n’est pas le pape, avec des cardinaux qui sont les infirmiers. In fine, ce changement de mentalité va améliorer les soins tout en valorisant les métiers de la santé. »

Et dans votre discipline, comment faire évoluer les choses ?

« La covid a permis à tout le monde de se rendre compte que les maladies infectieuses n’étaient pas terminées, de manière un peu brutale d’ailleurs. Les maladies seront toujours présentes et il y aura sans doute d’autres problèmes à l’avenir. L’infectiologie reste donc très importante. Le défi, c’est de continuer à investir dans le screening des risques qui peuvent exister et j’espère qu’on va laisser plus de place aux épidémiologistes et virologues dans les universités et les hôpitaux. Ce sont des métiers qui sont de plus en plus reconnus. La clé, c’est d’accepter de mieux collaborer avec les autres domaines de la santé. La question de la rémunération se pose aussi. Il faut bien payer les gens, sans tomber pour autant dans une vision américaine où on ne travaille que pour l’argent. »

Dans ce contexte, comment faire naître de nouvelles vocations ?

« Les vocations sont toujours là, vu qu’il existe encore des concours pour limiter le nombre d’étudiants dans certaines filières. On est tous conscients qu’au vu de l’évolution de la population, il y aura toujours du travail. Mais, attention aux fonctions qui ont moins de prestige. Je pense que beaucoup de médecins pourraient gagner un peu moins, et les infirmiers et infirmières un peu plus. Au-delà de cela, il faut proposer des conditions de vie qui soient suffisamment attirantes. On ne va pas changer le cœur du métier d’infirmier, mais on peut créer des conditions gérables, et trouver des manières de compenser la fatigue en repos et en moyens financiers. Il est crucial de leur donner des responsabilités et des interactions plus importantes pour être des collaborateurs plutôt que des rameurs. »

traitementHanna Ballout
Secrétaire générale de la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG)

Quels sont à vos yeux les plus grands défis de la formation dans le secteur médical ?

« J’ai une double vision sur la question. Il faut d’une part garantir la satisfaction du médecin, qui doit être épanoui dans son travail, dans son savoir-faire, mais aussi être bien dans sa peau. Aussi, nous devons rester garants des qualités des formations qui sont données pour rester à un haut niveau de soins. Il y a aussi un besoin de répondre au défi de santé publique et travailler sur des parcours de formation personnelle. Depuis la crise sanitaire, on a mis des portfolios à disposition des jeunes médecins, sans oublier les formations mises en place par l’INAMI, chaque année. »

Et dans votre discipline, comment faire évoluer les choses ?

« Le métier est en perpétuelle évolution, notamment avec l’émergence de nouvelles technologies de santé. Nous plaidons par exemple pour l’utilisation de matériel d’échographie par les médecins généralistes dans les régions les plus reculées ou l’accès aux hôpitaux est plus compliqué pour les patients. L’intelligence artificielle offre aussi des possibilités de télémédecine au sens large. Nous attendons des réformes avec la période électorale qui arrive. Cela va dans le bon sens avec un nouveau modèle de financement et d’organisation des cabinets de médecin généraliste, appelé aussi “New Deal”. »

Dans ce contexte, comment faire naître de nouvelles vocations ?

« On est face à un métier qui se féminise beaucoup, et cela va transformer le métier et la façon de faire le métier. On sait que l’on manque de médecins, et nous avons la volonté de créer un maximum de formations de qualité et conviviales. Aussi, le maître de stage joue un rôle primordial dans la naissance des vocations. Les stages devraient d’ailleurs arriver plus tôt dans la formation, car cela motive les étudiants. C’est d’autant plus vrai quand un maître de stage est charismatique et donne de l’attention aux jeunes. »

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