Interview par Thibaut Van Hoof

Michel Goldman : « On a pu aider les patients comme jamais face au COVID-19 »

Le domaine de la recherche a été mis sur le devant de la scène ces dernières années, notamment lors de la crise sanitaire de 2020 et 2021. Quatre ans plus tard, Michel Goldman fait le bilan d’un secteur qui se prépare à l’arrivée massive de nouvelles technologies dopée par l’intelligence artificielle.

Médecin chercheur en immunologie, Michel Goldman est le président fondateur de l’Institut I³H pour l’innovation interdisciplinaire en santé à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Ancien Directeur exécutif de l’Agence européenne pour l’innovation thérapeutique (IMI), il est particulièrement bien placé pour tirer les leçons de la pandémie de COVID-19 et évoquer les nouveaux défis à venir pour la médecine et la recherche.

Près de quatre ans après le début de la pandémie, quelles leçons tirez-vous de la crise sanitaire ?

« La première leçon, c’est que des millions de vies ont été sauvées grâce à la science. Rien qu’en Europe, on estime que les vaccins à ARN messager ont évité près d’un million et demi de décès. On oublie trop souvent que ces vaccins sont le fruit de trois décennies de recherche collaborative à travers de nombreuses disciplines : biologie moléculaire, immunologie, virologie et pharmacologie notamment. Lorsque le virus responsable du COVID-19 a été identifié, les plateformes technologiques étaient prêtes grâce aux recherches antérieures. La deuxième leçon, c’est l’impact des mutations du virus sur l’action des vaccins. Avec l’apparition des variants, les vaccins ont conservé une efficacité intacte pour prévenir les formes les plus graves de la maladie, mais ils ont perdu une bonne partie de leur effet bénéfique sur la transmission du virus, mettant à mal l’objectif d’immunité collective. Cette évolution a compliqué la communication vers le grand public à qui il a fallu expliquer que la vérité scientifique peut évoluer au fil du temps. La mise en évidence de complications tout à fait exceptionnelles de la vaccination a, elle aussi, nourri ce que l’on appelle l’hésitation vaccinale. Elle ne peut être surmontée que par une communication transparente, y compris sur les incertitudes scientifiques qui nécessitent des recherches complémentaires pour être levées. C’est la troisième leçon que je tire. La quatrième leçon, c’est la nécessité d’améliorer la compétitivité de l’industrie pharmaceutique européenne. Alors que la société de biotechnologie BioNTech européenne a joué un rôle majeur dans la mise au point des vaccins, ce sont les États-Unis qui ont permis le développement industriel rapide à grande échelle, essentiellement à travers l’opération Warp Speed. »

Et au niveau de la relation patient-médecin, quel a été l’impact de la pandémie ?

« L’impact a été majeur au cours de la phase aiguë de la pandémie, lorsque les médecins étaient débordés et que le confinement imposait le recours à de nouveaux modes de consultation. C’est la télémédecine qui a permis de maintenir les échanges entre les médecins et leurs malades. Si l’on s’est aperçu que la télémédecine pouvait rendre des services importants, ses limites sont aussi clairement apparues. À l’avenir, la télémédecine devrait libérer du temps des médecins pour leur permettre de mieux se consacrer à tout ce qui nécessite un contact direct avec le patient. »

L’intelligence artificielle est une évolution inévitable qui a des limites, mais un rôle important à jouer également pour le suivi des malades.

Selon vous, quels sont les plus grands défis qui se présentent en Belgique au niveau des soins de santé et de la recherche ?

« Le premier défi, c’est faciliter et accélérer l’accès des patients aux innovations thérapeutiques. La Belgique est une terre d’innovation avec des universités performantes et des sociétés de biotechnologie très actives au niveau international. Toutefois, le délai entre l’apparition d’un nouveau traitement et le moment de sa prise en charge par la Sécurité sociale est beaucoup trop long. Un autre défi, c’est de faire en sorte que les hôpitaux universitaires puissent maintenir une activité de recherche performante. »

On évoque l’intelligence artificielle de plus en plus souvent. La médecine de demain passera-t-elle par là ?

« D’ores et déjà, l’IA permet d’affiner les diagnostics, notamment dans les domaines faisant appel aux analyses d’images. En intégrant de multiples paramètres biologiques, en particulier génétiques, elle va permettre d’adapter beaucoup mieux les traitements aux besoins de chaque patient. Elle exerce déjà un impact considérable dans la découverte et le développement de nouveaux médicaments. Pour autant, l’IA ne remplacera pas le médecin. C’est à lui que reviendra le rôle essentiel d’adapter les informations fournies par l’intelligence artificielle à la situation individuelle de chaque patient. »

Quelle est votre vision de l’avenir de la médecine ?

« La médecine du futur reposera sur deux principes essentiels. Le premier, c’est la précision dans le diagnostic et le traitement, grâce à l’intelligence artificielle déjà évoquée, mais aussi de nouvelles biotechnologies comme les anticorps monoclonaux de dernière génération, et les  thérapies cellulaires et géniques. Le deuxième principe est celui d’une meilleure prévention qui devra prendre en compte les facteurs de risque — génétiques essentiellement — propres à chaque personne. »

La Belgique restera-t-elle une terre d’innovations ?

« Je suis très optimiste à cet égard, car les écosystèmes mis en place autour des centres universitaires tant en Flandre qu’en Wallonie ont largement fait leurs preuves. Nous continuons à attirer des entreprises très innovantes et il y a toutes les raisons de penser que ce mouvement va se poursuivre, notamment à travers des partenariats public-privé. »

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Si vous n’aviez pas été immunologiste, quelle carrière auriez-vous voulu poursuivre ?

« Cela aurait certainement été une autre carrière médicale, car faire la médecine était pour moi une évidence, influencé sans nul doute par l’exemple de mon père médecin généraliste. La psychiatrie m’intéressait beaucoup, mais au moment du choix, la complexité du fonctionnement du cerveau m’a quelque peu découragé. »

07.03.2024
par Thibaut Van Hoof
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