Interview par Caroline Beauvois

Edouard Vermeulen : « Le pas le plus rapide dans la maison, c’est le mien »

Si son arrivée dans le monde de la couture relève d’un coup du destin, ce n’est pas par hasard que le couturier Edouard Vermeulen, de l’emblématique maison Natan, s’est positionné comme la référence belge de la haute couture depuis plus de 40 ans déjà.

La maison Natan vient de célébrer ses 40 ans d’existence, avec à la clé notamment le livre « Edouard » qui retrace votre parcours, assez insolite finalement. Car vous êtes « tombé » dans l’univers de la mode un peu par hasard.

« Tout à fait, j’ai débuté ici, au 158 avenue Louise à Bruxelles, il y a 42 ans en tant qu’architecte d’intérieur. Je cherchais alors une salle à louer et je suis tombé sur cette maison. Tout était complet, j’ai donc décidé de louer le hall pour y exposer quelques meubles et objets. L’ancienne maison de couture, installée dans cette maison, allait fermer 18 mois plus tard et les clients me demandaient si elle allait vraiment disparaître. À 24 ans, que vous dites-vous ? Qu’il y a peut-être moyen de continuer (sourire) ! On a arrêté la déco, fait table rase et créé une collection de dix pièces. Quand j’ai débuté, je n’avais ni les connaissances ni les études, rien. Mais j’avais envie d’essayer ! On a commencé à deux, puis j’ai trouvé une coupeuse, Christiane ; on allait déposer les vêtements chez des couturières à domicile. On a créé un petit défilé, ensuite un plus grand et le lendemain, il y avait des clients. Ça va tellement vite… Maintenant, on a 8 boutiques, 120 points de vente, 70 personnes, du prêt-à-porter… Quarante ans, c’est long ! »

Passer d’architecte d’intérieur à couturier n’a rien d’anodin. Qu’est-ce qui vous a fait passer le cap ?

« Pour moi, la beauté, c’est la créativité. Quand j’ai terminé mes humanités, j’ai décidé que la créativité serait mon moteur ! Mais je n’aurais sans doute jamais pensé à me tourner vers la mode si je n’étais pas rentré dans cette maison à l’époque. Ça ne m’aurait jamais traversé l’esprit. Ça fait partie du destin. »

Le seul avantage du vieillissement, c'est l’expérience.

Quel a été le moment le plus marquant de votre carrière ? 

« En 40 ans de carrière et donc 80 saisons, il y a eu énormément de grands moments. Il y a eu évidemment le choix de quitter la déco pour la mode, mais aussi celui de garder l’ADN des premières années en restant dans le haut de gamme, qui fait rêver et un peu occasionnel, aussi. Et puis, il y a eu beaucoup de mariages, dont ceux de familles royales qui sont devenues des clients fidèles, avec tout le plus grand respect de ma part. »

Comment se renouvelle-t-on après 80 saisons ?

« C’est le mystère de mon métier (rires). On ne doit pas changer de style, mais le faire évoluer. Cette nouvelle collection printemps-été, pour moi, c’est le renouveau, le minimalisme, le côté contemporain des formes, mais aussi l’effet haute couture, occasion, féminité et toujours empreinte d’un côté intemporel. Quelqu’un qui investit aujourd’hui dans un vêtement, pour une occasion particulière, aura envie de pouvoir le reporter. Selon moi, un vêtement doit être empreint d’une belle énergie dans la façon dont il est fabriqué, car quand vous vous sentez bien dans votre vêtement, ça vous apporte de l’assurance et de la joie. »

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Quel conseil donneriez-vous aux jeunes créateurs ? 

« Avant tout, il faut être guidé par la passion. Aujourd’hui, le monde est plus difficile, la concurrence est peut-être plus rude qu’à mes débuts. Il serait d’ailleurs impossible d’ouvrir une boutique, seul, comme je l’ai fait : les charges sont trop importantes. Par contre, les jeunes créateurs sont nés dans l’univers des réseaux sociaux ; et ils doivent les utiliser, car c’est un pouvoir extraordinaire d’expression. Aujourd’hui, des jeunes arrivent à se faire connaître et à s’installer dans des boutiques multimarques aux quatre coins du monde grâce à Instagram ! Chapeau ! Mais après, il y a aussi la réalité. Je le conseillerai donc de ne pas faire attention qu’à leur image, mais de prêter aussi attention au suivi, tant au niveau de la réalisation, de la fabrication, de la qualité des matières que de la livraison. Il faut se lancer corps et âme dans son projet, tout en ayant un plan bien structuré et ciblé. »

Le slogan de ce Fokus est « 50 is the new 30 ». À 66 ans (67 ans ce 4 mars), comment voyez-vous votre avenir ? 

« Que ce soit à 30, 40, 50 ou 60 ans… Je me sens le même homme, avec la même énergie. Le pas le plus rapide dans la maison, c’est le mien ! Quand nous avons célébré les 40 ans de la maison Natan, il y a quelques mois, tout le monde me demandait quand j’allais raccrocher. Mais mon futur, c’est d’être actif ! J’ai besoin d’avoir l’esprit très occupé et d’être dans le dynamisme. J’espère ne jamais devoir raccrocher, car mon travail, c’est mon moteur. J’ai consacré toute ma vie à cette maison. Je remercie le ciel de pouvoir aimer ce que je fais : c’est la passion qui permet d’avancer et d’entreprendre. Et comme je dis toujours, le seul avantage du vieillissement, c’est l’expérience. Elle permet de relativiser, d’aller à l’essentiel, de dominer ses peurs et ses angoisses et d’envisager les choses dans une perspective de plus long terme. Aujourd’hui, si j’ai toujours dix projets sur le feu, c’est parce que ça m’amuse ! »

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Si vous n’étiez pas couturier, que seriez-vous ?

« Je serais architecte d’intérieur (sourire) ou je serais hôtelier, car c’est l’art de la mise en scène et l’art de recevoir. Avoir un hôtel, c’est satisfaire les clients qui arrivent et découvrent votre univers. Il faut proposer une expérience, un décor et une véritable atmosphère qui comprend les fleurs, la musique, les senteurs… Je me suis toujours dit que ça m’aurait amusé d’avoir un hôtel, mais je préfère la mode. D’ailleurs, en 40 ans, je n’ai jamais dit “en avoir marre” ou “non” : j’ai toujours dit oui ! »

29.02.2024
par Caroline Beauvois
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