Interview par Sophie Pycke

Brandon Wen: « Dans la vie, il faut savoir prendre des risques. La seule question est de savoir quand. »

À 29 ans à peine, Brandon Wen dirige déjà la mondialement renommée Académie de la mode d'Anvers. L'énergique Américain a d'abord hésité à poser sa candidature. Un tel poste ne se présentait-il pas trop tôt dans sa carrière ? « J'ai fait confiance à mon instinct. Dans la vie, il faut savoir prendre des risques. La seule question est de savoir à quel moment. »

Il y a dix ans, lors d’un cours d’été de mode à Paris, Brandon Wen a pu passer une journée au Musée de la mode, à la boutique Walter Van Beirendonck, aujourd’hui fermée, et à l’Académie. « J’ai alors réalisé à quel point cet univers est unique. Difficile de trouver une telle combinaison fascinante d’esprit ludique, de créativité et d’humour dans d’autres écoles de mode », confie Brandon Wen. « À l’époque déjà, je me disais que ce serait formidable d’être un jour directeur ici ». Lorsqu’il a appris, il y a deux ans, que Walter Van Beirendonck allait prendre sa retraite, il a senti monter en lui un étrange mélange de panique et d’enthousiasme. « Je me suis dit : ça y est : le moment dont j’ai rêvé depuis si longtemps. Mais aussi : cela n’arrive-t-il pas trop tôt ? Est-ce vraiment le bon timing ? Un ami a réussi à me convaincre en me disant  »Tu possèdes un profil atypique, mais c’est peut-être précisément ce dont l’Académie a besoin ». J’ai alors réalisé qu’il avait raison. Je ne me serais jamais pardonné si j’étais passé à côté de ce rêve de longue date. »

Pas de fossé générationnel

Pendant deux ans, les spéculations sur le successeur éventuel de Van Beirendonck ont été bon train. Brandon Wen a donc dû ronger son frein. Jusqu’à cet été où l’appel rédempteur est finalement arrivé et où la nouvelle a été rendue publique. Il a lui-même été diplômé de l’Académie de la mode il y a seulement trois ans. Il appartient donc à la même génération que les étudiants à qui il va enseigner. « Ce qui est un avantage indéniable. Nous portons le même regard sur le secteur de la mode et nous nous interrogeons tous sur ce que signifie être un créateur de mode en 2022. Nous sommes tous jeunes. Nous tentons de trouver notre voie. Nous sommes tous dans le même bain. Et c’est une très bonne chose. »

Brandon Wen est né de père chinois et de mère espagnole. Celle-ci est comptable et a récemment commencé à travailler dans l’entreprise de son père, un architecte et homme d’affaires autodidacte qui a immigré en Californie tout seul à l’âge de 16 ans. Avec son jeune frère, Brandon a grandi à Pasadena, dans la banlieue de Los Angeles. Enfant, il possède déjà l’esprit d’entreprise. Le samedi, il prend des cours de dessin de mode. Mais il fait aussi du sport, est vice-président du conseil des élèves et fait partie d’un club de bienfaisance. « Typiquement américain », confesse-t-il en riant. « Mes parents m’ont toujours encouragé à travailler et à prendre de la place. Grâce à eux, je sais qu’une vie sans risque est moins gratifiante. Vous ne pouvez pas laisser la peur vous paralyser. Il faut prendre des risques. »

Mes parents m'ont toujours encouragé à travailler et à prendre de la place.

L’erreur est permise

À 29 ans, il n’a pas encore beaucoup d’expérience dans un poste de direction. Mais il ne souffre pas pour autant du syndrome de l’imposteur. « Tout semble si organique. Il est évident que je dois suivre une courbe d’apprentissage abrupte, mais il n’y a vraiment rien que je ne sois impatient de faire », déclare-t-il. « Je sais que je suis bon en communication. Cela s’avère utile lorsque vous devez faire face à tant d’opinions différentes et à des personnes qui ont toutes un profond engagement envers l’Académie. Je veux dialoguer avec tout le monde. Les problèmes surviennent souvent lorsque les gens n’expriment pas correctement ce qu’ils veulent. Je dois maintenant apprendre comment les autres fonctionnent, et eux doivent apprendre comment moi je fonctionne. Et nous devons nous rencontrer quelque part à mi-chemin. Et dans cet espace, il est important de laisser de la place aux erreurs, à l’humanité et au respect de l’individualité. »

Le jeune réalisateur croit en l’idée de « diriger avec douceur ». « Diriger en écoutant, avec feeling et en sachant quand intervenir et quand garder mes distances. Je ne suis pas de cours pour cela, mais j’en parle avec des personnes dans et hors du secteur de la mode. J’apprends des expériences des autres. Quoi qu’il en soit, c’est ainsi que je veux aborder ce travail pour le moment. Rappelez-moi dans deux ans, je pourrais bien afficher une toute autre approche (rires). »

Rêver en grand

Les Flamands devraient-ils faire preuve d’un peu plus d’audace à l’américaine ? « Don’t tell them, but yeah. (rires) On ne concrétise véritablement ses rêves qu’en repoussant ses propres limites. C’est un cliché, mais c’est vrai : rêvez en grand et n’ayez pas peur de prendre des risques. Mais surtout, faites-vous confiance, car parfois, attendre est également bénéfique. On nous dit toujours que nous n’avons qu’une seule chance de réussir. Une chance de faire bonne impression ou de faire décoller notre projet. Mais c’est aussi ok si ça prend un peu de temps. J’ai souvent refusé des opportunités parce que je ne sentais pas le déclic ou parce que mon intuition me disait d’attendre. C’est parce que j’ai attendu que je me retrouve ici aujourd’hui. »

07.12.2022
par Sophie Pycke
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