Interview par Emmanuelle Praet

Paul Jorion : « Gagner de l’argent facilement est toujours une illusion »

À 77 ans, Paul Jorion a une carrière professionnelle remplie. Véritable couteau suisse, il est anthropologue, psychanalyste, sociologue, est un expert reconnu en économie et en intelligence artificielle. On le qualifie également de futurologue !

Vous avez rédigé un ouvrage intitulé “Argent, mode d’emploi”. Les méthodes pour gagner de l’argent ont évolué au fil du temps ? 

« Tout est plus complexe ! La manière de gagner de l’argent a connu des évolutions notables au fil des années, principalement en raison des transformations liées au travail et à l’introduction de l’intelligence artificielle. Tous les jours, on lit la liste des métiers qui sont amenés à disparaître. Le constat est là, on a de moins en moins besoin de l’homme, les machines fonctionnent seules. Prenons l’exemple des caissières qui sont progressivement remplacées par des machines. Bien que cela nécessite une programmation, cela représente moins d’emplois. Et bientôt, avec l’intelligence artificielle, tout se fera de manière automatique. L’homme est devenu comme un jardinier qui enlève l’herbe qui pousse naturellement. Notre rôle est de contrôler que ce que fait la machine est correct, plus de créer. Des outils tels que ChatGPT font désormais partie de notre quotidien, et il est essentiel d’apprendre à les utiliser, poser les bonnes questions, et écouter les réponses !

En revanche, ce que l’intelligence artificielle ne sait pas faire, c’est l’artisanat. Si vous souhaitez gagner de l’argent, il faut être un artisan. Vous pouvez également envisager de créer une start-up en tirant parti de l’intelligence artificielle, mais il vous faudra un produit ou un concept solide. »

Quels sont les principaux conseils pour bien gérer son argent ?

« Mon premier conseil est de ne pas le perdre ! À moins que vous soyez riche, évitez les placements spéculatifs, conserver votre capital est essentiel. Privilégiez le « capital garanti », qui assure la récupération de l’argent investi. On entend souvent parler de la méthode 50 % (dépenses essentielles), 30 % (dépenses personnelles), 20 % (épargne). C’est très optimiste, mais nombreux sont ceux qui ne peuvent pas le faire, même si épargner de petites sommes mensuelles est conseillé. »

Pour bien gérer son argent, mon premier conseil est de ne pas le perdre.

De nombreux tutoriels proposent de gagner de l’argent facilement ? Est-ce possible ? 

« De manière générale, quand c’est trop beau pour être vrai, c’est que c’est faux !  Gagner de l’argent facilement est toujours une illusion. Il n’existe pas de raccourci magique ni de formule miracle pour devenir riche du jour au lendemain. Lorsqu’il s’agit de gérer ou d’investir de l’argent, il est essentiel de rechercher des conseils avisés. Les conseils d’influenceurs ou de personnes dont le revenu dépend des recommandations qu’ils fournissent sont à fuir comme la peste. Par le passé, certains ont proposé des conseils payants pour devenir trader et gagner des millions aisément. Or, lorsqu’une méthode révolutionnaire pour gagner de l’argent parvient à vos oreilles, c’est qu’elle est dépassée et qu’il est trop tard pour en tirer profit. Une nouvelle fois, ChatGPT vous aidera à décrypter les arnaques éventuelles ! »

L’investissement est souvent recommandé, mais quels secteurs devrait-on privilégier ou à éviter ?

« Si vous disposez d’économies, même modestes, investir dans les métaux précieux comme l’or ou l’argent reste une stratégie judicieuse pour préserver votre capital. L’histoire a démontré que les pièces, les lingots et les bijoux en or ont conservé leur statut de valeur refuge, notamment en temps de guerre. Je parle de la possession physique d’or ou d’argent, par opposition aux investissements virtuels en ligne.

Fuyez les cryptomonnaies, il s’agit d’une arnaque depuis le tout début : aucune garantie que les sommes promises ne soient jamais versées ! Souvenez-vous qu’une monnaie comme l’euro est garantie par de véritables économies nationales. »

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Peut-on imaginer un monde sans argent ?

« Qui souhaite se réveiller en pleine nuit en pensant aux factures qu’on ne sait pas payer ? Peu de gens s’en souviennent, mais Ernest Solvay, grand capitaine d’industrie, connu pour ses contributions au développement du secteur de la chimie, était aussi un grand penseur anarchiste et rêvait lui aussi d’un monde sans argent. Il a instauré le « carnet de bonnes intentions », qui permettait aux employés de recevoir une partie de leur salaire sous forme de bons d’achat utilisables pour acheter des biens essentiels à prix réduit. Cette idée rejoint le concept actuel de la gratuité pour l’indispensable, alimentation de base… Ne représentant que 2 % de notre économie, contre 6 % pour le revenu universel, elle est tout à fait réalisable. C’est la fin du cauchemar de la subsistance incertaine ! »

Vous aviez annoncé, dès 2005, l’imminence d’une crise financière, qui a finalement éclaté en 2008. Sommes-nous à l’aube d’une autre crise ? 

« Nous étions une poignée dans le monde à avoir anticipé la crise. Même si aujourd’hui certains en prédisent une nouvelle, je ne la vois pas. Il n’y a pas d’alerte similaire à celle que nous avons connue. Il existe un danger lié à l’inflation, qui est la conséquence du Covid et de la guerre en Ukraine, mais nous ne sommes pas à l’aube d’une nouvelle crise. Bien sûr, les conditions pourraient évoluer en cas de guerre mondiale ou autre catastrophe, mais la crise de 2008 était le résultat de la fragilité intrinsèque du système financier, autoentretenue. Aujourd’hui, les signaux d’alarme proviennent de l’extérieur, ce n’est pas du tout le même contexte. Les banques sont plus prudentes et certains garde-fous sont en place. »

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Si vous aviez pu choisir une autre carrière, qu'auriez-vous préféré ?

« Entre 1979 et 1984, j’étais professeur d’anthropologie à l’Université de Cambridge. À cette époque, tout le monde, y compris moi-même, croyait que je serais confirmé dans ce poste. Cependant, à ma grande surprise, cela ne s’est pas concrétisé en raison, notamment, de contraintes budgétaires. L’histoire n’a donc pas fait du jeune professeur, un vieux professeur, en 2023. J’aurais pourtant été très heureux de poursuivre une carrière dans l’enseignement et de me concentrer sur l’histoire et la philosophie des sciences en plus de l’anthropologie. »

14.12.2023
par Emmanuelle Praet
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