En ce mardi matin, la place Léopold est froide et glissante. Une légère bruine fait briller les pavés et les rails du tram. Bien qu’il y ait aussi une certaine beauté dans la morosité, nous avons parfois besoin d’une lueur d’espoir. Et nous la trouvons dans les œuvres d’art voyantes de la vitrine de Gert Voorjans. Nous n’étions pourtant pas préparés au déluge de couleurs et de décoration qui nous attendait.
Un environnement comme celui-ci, on n’en rencontre pas souvent. Quelle importance accordez-vous à la couleur ?
« Avec moi, vous la retrouverez partout. Je veux faire sortir les gens de leurs coquilles, leur montrer quelque chose qu’ils ne pourraient pas voir par eux-mêmes. Vous pouvez également considérer mon utilisation intense de la couleur comme un contrepoint à un monde soumis à des nuances de gris et de teintes terreuses. Surtout en Belgique, où il faut régulièrement sortir le parapluie, cela peut parfois avoir un côté sinistre. Les couleurs vives sont le meilleur remède contre cela. Et je ne parle pas d’un soi-disant mur d’accent. Si vous voulez faire quelque chose, faites-le à fond. Les couleurs doivent ressortir. Tendances ou pas, je ne vendrai jamais mon âme au beige. Sans les couleurs, je deviendrais neurasthénique. C’est un mode d’expression qui témoigne de notre besoin de vivre pleinement. »
La combinaison de l'ancien et du nouveau offre les meilleurs résultats.
À cet égard, l’architecture, et plus particulièrement l’architecture intérieure, peut-elle être considérée comme une forme d’art à part entière ?
« Absolument ! Imaginer une composition complète pour votre intérieur peut certainement être considéré comme une forme d’art. Au même titre qu’une peinture ou une sculpture, il faut considérer l’ensemble : tous les différents éléments doivent s’assembler pour former un tout. Il faut absolument qu’il y ait de l’audace. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas du tout fan des murs d’accent. Il est très facile et peu original d’autoriser la couleur dans votre maison sur cette base. »
« Un intérieur digne de ce nom doit refléter votre personnalité, et qui souhaite se définir avec un mur d’accent ? L’art m’a toujours intéressé, c’est pourquoi, depuis la pandémie, j’ai ouvert ma vitrine et mon rez-de-chaussée aux artistes en herbe. En tant que débutant, il n’est pas facile d’avoir accès à une galerie ou à un musée. En exposant leurs œuvres chez moi, ils augmentent leurs chances de percer. Leur variété m’apporte aussi un vent de fraîcheur qui me permet de mettre ma façade davantage en valeur. »
Vous venez de mentionner les tendances dans le monde de l’art. Quelle est votre opinion sur les tendances en matière d’intérieur ?
« Elles vous influencent toujours d’une manière ou d’une autre, mais pour l’essentiel, je ne m’en préoccupe pas. Je veux pouvoir faire ce que je veux. Les tendances sont relatives. Lorsque vous passez la porte d’une habitation aujourd’hui, vous êtes assailli par le fuchsia et le bleu cobalt, mais si vous allez en Inde, vous verrez qu’on y utilise ces couleurs depuis des lustres. »
« Alors pourquoi est-ce soudainement une tendance ? Elles peuvent vous aider à choisir ce que vous aimez, mais vous ne devez pas en devenir l’esclave. Il en va de même pour la valeur que nous attribuons à nos intérieurs. Même si vous avez passé des années à rassembler des objets, ils resteront toujours juste des objets. Nous sommes bien trop matérialistes aujourd’hui. C’est pourquoi j’ai stocké tous mes anciens meubles dans un hangar et les ai vendus, et je pourrais très bien le refaire. Partir d’une feuille blanche procure un sentiment très libérateur. »
Quels conseils donneriez-vous aux personnes ayant une nouvelle habitation et donc une feuille blanche ?
« Avant de commencer à la meubler et à la décorer, votre habitation doit répondre aux normes sanitaires de base. Il ne sert à rien d’avoir un beau canapé si votre toit fuit. Deuxièmement, je tiens à préciser que vous ne pouvez pas créer un intérieur en un seul achat. Un intérieur se construit dans la durée. C’est une démarche organique. Vouloir atteindre rapidement la perfection n’est pas réaliste. Et tout ne doit pas nécessairement coûter des sommes folles. J’ai par exemple trouvé ce service à thé pour 8 euros dans une brocante. La combinaison de l’ancien et du nouveau c’est idéal. »
Une bonne heure plus tard, nous retrouvons le monde du dehors. La bruine a cessé et un rayon de soleil apparaît même derrière les nuages. La ville elle aussi semble comprendre qu’avec un peu de couleur, tout devient tellement plus radieux.
