Interview par Gwendoline Cuvelier

Fatima Zibouh : « La diversité et la discrimination, c’est l’histoire de ma vie, mais j’en ai fait une force »

Fatima Zibouh est docteure en sciences politiques et sociales, conférencière, leader multi-récompensée et experte sur les questions de diversité et inclusion. Un thème qui lui tient particulièrement à cœur en tant que femme belge d’origine marocaine.

Vous avez grandi à Molenbeek, une commune multiculturelle particulièrement stigmatisée. Est-ce une des raisons qui vous a poussée à faire de la diversité votre cheval de bataille ? 

« En tant que femme issue de l’immigration ayant grandi dans un milieu populaire, j’ai été confrontée depuis toute petite à la double difficulté liée à mon origine sociale et à mon origine culturelle. En ajoutant à cela la dimension du genre, il est clair qu’on ne part pas sur le même pied d’égalité avec la combinaison de ces trois dimensions intersectionnelles. La diversité et la discrimination, c’est l’histoire de ma vie, mais j’en ai fait une force, une expertise pour promouvoir l’empowerment des femmes en particulier. »

Pourquoi avoir voulu devenir politologue et vous engager politiquement ?

« Pour moi ce sont deux choses différentes, mais complémentaires. Avoir effectué des études et un doctorat en sciences politiques m’a surtout permis de mieux comprendre le contexte sociopolitique dans lequel nous évoluons, à travers un cadre d’analyse et des outils méthodologiques pour mieux saisir la complexité du monde. En ce qui concerne mon engagement, cela fait plus de 20 ans que je m’implique au sein de la société civile pour créer plus de dialogue, d’inclusion, de diversité mais aussi pour lutter contre les inégalités. Être engagée politiquement ne passe pas nécessairement par les partis politiques, je n’ai d’ailleurs aucune couleur politique. Être actrice du changement, c’est aussi une façon de faire de la politique. Je pense qu’on peut toutes et tous contribuer à une transformation sociétale vers un monde plus juste, plus durable et plus solidaire. »

Depuis février 2023, vous avez été désignée par le Gouvernement comme co-chargée de mission pour faire de Bruxelles la capitale européenne de la culture en 2030. Pourquoi Bruxelles mérite-t-elle, selon vous, d’être élue ? 

« Bruxelles est une ville qui dispose de plein d’atouts, mais qui comporte aussi de beaucoup de défis. Cette candidature est une formidable opportunité de réfléchir à une vision commune pour définir un véritable projet de ville avec l’ensemble de ceux et celles qui font Bruxelles. Avec mon binôme Jan Goossens, nous rencontrons tous les jours des opérateurs formidables qui sont des acteurs du changement de cette capitale, et font la fierté de Bruxelles. Ils méritent d’être mieux connus et reconnus afin de créer une synergie qui dépasse les clivages sociaux, culturels et linguistiques. »

La culture est-elle un enjeu important au niveau de la diversité et de l’inclusion ?  

« Oui, car la culture façonne la façon dont nous nous percevons les uns les autres et la manière dont nous interagissons, à travers des codes culturels et sociaux. Il y a une diversité de langues, de croyances, de pratiques, de rites et de traditions qui existe dans chaque groupe de la société. Pour créer de la cohésion sociale dans des sociétés qui se diversifient, il est nécessaire de développer des politiques inclusives basées sur un socle de valeurs communes, qui permettent de reconnaître les différences culturelles. L’inclusion culturelle permet aux individus de ne pas se sentir exclus, mais au contraire respectés et reconnus. Cela renforce la cohésion sociale à travers le “vivre ensemble” et le “faire ensemble”. Une véritable richesse, car tout le monde y gagne ! »

L’inclusion culturelle permet aux individus de ne pas se sentir exclus, mais au contraire respectés et reconnus.

Comment voyez-vous Bruxelles dans dix ans ? 

« C’est une question difficile, car cela dépendra de ce qu’on en fera… Personnellement, j’essaie de contribuer chaque jour à la création d’une ville plus inclusive, plus connectée. Je tente de créer des ponts entre les différentes communautés culturelles, sociales, linguistiques, etc., avec une attention particulière pour les personnes les plus fragilisées. Dans ma vision de Bruxelles dans dix ans, si on réussit ce pari de la co-inclusion, ce sera une ville inspirante en termes de bonnes pratiques, car elle aura réussi la gestion de sa diversité culturelle. Toutes les grandes villes sont amenées à être plus diversifiées. On aura deux options : soit la polarisation et la division, soit la cohésion, la diversité et l’inclusion. Je travaille chaque jour pour la deuxième option. »

Vous avez été responsable d’Actiris inclusive, le service anti-discrimination qui reçoit et accompagne les chercheurs d’emploi victimes de discrimination à l’embauche. Celle-ci est-elle encore fréquente en 2023 ?

« Comme le montrent de nombreuses études, la discrimination à l’embauche est une réalité massive, systémique et structurelle. Encore aujourd’hui, à diplôme égal, l’origine ou le genre détermine encore l’accès à certaines fonctions. Le nombre de signalements est en hausse, mais il n’illustre que la partie visible de l’iceberg. La plupart de ceux qui sont touchés par la discrimination à l’embauche ne le signalent pas. »

C’est une problématique qui vous touche personnellement ?

« Oui, car j’ai moi-même été confrontée à quelques reprises à ces exclusions en raison de mon genre, de mon origine ou de mon apparence. C’est quelque chose de très violent que d’être rejetée en raison d’une différence, malgré ses compétences. Mais pour moi, la résilience est très importante. Il faut dépasser l’approche victimaire pour s’inscrire dans de l’empowerment et trouver la force de rester debout, malgré tout. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai fait de la lutte contre les discriminations – le sexisme, le racisme, la haine, les stéréotypes – mon combat de vie ! »

Comment lutter concrètement contre ces discriminations ? 

« La lutte contre les discriminations passe avant tout par une conscientisation de ce fléau et par un changement des mentalités. Il est impératif de questionner nos préjugés et nos stéréotypes. On en a tous ! Ils peuvent se traduire par des biais inconscients ou par un véritable rejet de celui qui est différent de soi. En Belgique, nous disposons d’un cadre législatif anti-discrimination assez fort avec 29 critères protégés. C’est la raison pour laquelle il est vraiment important de signaler les discriminations. »

Vous avez réussi à percer le plafond de verre. Une notion qui touche les femmes, mais pas uniquement.

« Le plafond de verre et le plancher collant constituent de véritables obstacles dans la carrière des femmes en général. Pour les femmes issues de l’immigration en particulier, c’est encore plus compliqué. Elles sont confrontées à plus de difficultés en raison de leur genre, mais aussi de leurs origines sociales et culturelles, qui multiplient les facteurs de discrimination et d’inégalités d’accès à certaines fonctions. Si vous rajoutez à cela d’autres facteurs comme la monoparentalité, l’état de santé ou le handicap, c’est encore plus difficile de percer ce plafond de verre. »

diversité

Vos parents ont toujours cru en vous. Quel est le meilleur conseil qu’ils vous ont donné ? 

« Bien que mes parents n’aient pas fait d’études, ils ont toujours mis l’apprentissage au centre de notre éducation malgré les difficultés sociales auxquelles ils étaient confrontés au quotidien. Mes parents m’ont transmis plein de belles valeurs qui font de moi celle que je suis aujourd’hui. Mon père m’a toujours dit d’apprendre et d’aller chercher le savoir partout où il se trouve, sans jamais m’arrêter. Ma mère m’a toujours appris à être une femme forte et surtout à être en paix, à pardonner pour ne pas garder de rancœur dans mon cœur. »

Quelles citations vous guident au quotidien ? 

« Il y en a tout plein, mais j’en retiens deux qui me poussent à toujours aller de l’avant. La première citation est celle de Confucius qui dit que “l’échec, ce n’est pas de tomber mais c’est de rester là où on est tombé”, donc si on se relève… ce n’est plus un échec ! L’autre citation est celle de Sénèque qui dit “la vie, ce n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre comment danser sous la pluie.” Elle résume parfaitement ma philosophie de vie. »

Quelles femmes vous inspirent ? 

« Tout d’abord ma maman, qui est décédée il y a quelques années d’un cancer fulgurant à l’âge de 57 ans seulement. Elle n’avait jamais été à l’école et pourtant elle m’a toujours encouragée à me surpasser au niveau de mes études. Elle était féministe à sa façon en prônant l’indépendance, la liberté et l’autonomie de ses filles. Puis il y a d’autres femmes leaders que j’ai eu la chance de rencontrer comme Ilham Kadri, Rokhaya Diallo ou Julia Middleton, qui sont tellement inspirantes. Elles sont devenues de véritables amies. »

Qu’est-ce que vous aimeriez dire à la petite fille que vous étiez ?  

« Ne te laisse pas faire ! Ne laisse personne te dire quelle est ta valeur, te rabaisser ou te dénigrer. Tu es une fille forte et pleine de potentiel, ne laisse personne te faire croire le contraire. Et surtout, brille, souris à la vie, car elle est pleine de belles promesses et de beauté. »

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Si vous n’étiez pas politologue, vous seriez...

« Je pense que j’aurais été avocate, car je suis très sensible à la question de la justice. Ou médecin dans une organisation humanitaire pour aider les plus fragilisés. Dans ma vie actuelle, j’essaie déjà de combiner plusieurs métiers en une journée. Tant que je suis alignée avec ma mission de vie, dans la joie, la solidarité, la diversité et l’inclusion, alors je continuerai toujours avec autant de passion et de détermination. »

13.12.2023
par Gwendoline Cuvelier
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