Dans la ville intelligente, la voiture reine devient princesse
La durabilité, l’écologisation et l’Internet des Objets vont révolutionner les politiques de mobilité urbaine. Plans de circulation sophistiqués, véhicules électriques, technologies basées sur les données et mobilité partagée seront la norme pour une ville plus vivable.
Prof. Dr. Imre Kesurü
Deputy director, VUB Mobilise Research Group
Quels sont les plus grands défis en matière de mobilité dans nos villes ?
« Nos villes sont le reflet de la planification des transports des années 60-70, lorsque le réseau routier et les parkings furent construits en fonction d’une mobilité individuelle rapide et illimitée. Et aujourd’hui, cela exerce sur elles une pression énorme. À Bruxelles, par exemple, les infrastructures de transport occupent un tiers de l’espace total et le transport de passagers et de marchandises représente 28 % des émissions de CO2. La pollution atmosphérique impacte la santé des citadins et le tribut en vies humaines des accidents dus au trafic croissant est lourd. Le conducteur belge moyen passe 39,4 heures par an dans les embouteillages, ce qui entraîne d’énormes pertes économiques. »
Quelles sont les technologies susceptibles d’améliorer la qualité de vie des personnes et de la circulation ?
« La numérisation est une tendance prometteuse de la mobilité pour les sociétés de transport, les autorités locales et les voyageurs. La billetterie numérisée et la fourniture d’informations en temps réel via les smartphones sont économiquement avantageuses pour les opérateurs de transport public et très pratiques pour les usagers. Les services innovants tels que les vélos et les voitures partagés existent grâce à la numérisation, tout comme la « mobilité en tant que service », qui offre différentes options de transport de manière intégrée. Le danger d’une numérisation totale est que les personnes aux compétences numériques limitées ne puissent pas profiter pleinement des services offerts. »
Les solutions innovantes et « intelligentes » sont-elles envisageables pour les collectivités locales et les entreprises ?
« Les nouvelles technologies basées sur le big data et l’intelligence artificielle sont indispensables pour une meilleure gestion des transports urbains. Pour comprendre et gérer ces technologies complexes, les autorités locales sont de plus en plus dépendantes des entreprises privées. Celles-ci n’offrent pas nécessairement les solutions les plus durables, mais plutôt les plus rentables pour elles. Cependant, la technologie seule ne résoudra pas les problèmes de mobilité urbaine. Des politiques adaptées et un changement de comportement tenant compte de l’impact environnemental de nos déplacements sont au moins aussi importants : il faut passer d’un modèle de propriété à un modèle de partage. »
Jan Cools
CEO, Be-Mobile
Quels sont les plus grands défis en matière de mobilité dans nos villes ?
« Le défi majeur reste l’usage massif de la voiture malgré le manque d’espace dans nos centres-villes. Comme le système de transport public ne fonctionne pas de manière optimale et que tout le monde continue à utiliser la voiture, il y a beaucoup de trafic dû à la recherche de places de stationnement, ce qui nuit à la fluidité du trafic. Les fournisseurs de mobilité partielle, les applications mobiles et les réseaux de reconnaissance automatique des plaques d’immatriculation (RAPI), ainsi que les transports publics, cherchent des solutions en collaboration avec la ville. Une ville qui souhaite modifier sa politique de mobilité doit donc gérer et coordonner un grand nombre de parties prenantes. »
Quelles sont les technologies susceptibles d’améliorer la qualité de vie des personnes et de la circulation ?
« Le mieux est de fixer un tarif de stationnement. Certaines villes expérimentent aussi la « gestion du trottoir » : il est réservé aux bus scolaires le matin et au stationnement de courte durée en journée. La nuit, les résidents peuvent s’y garer, et en été, il devient un terrain de jeu. Be-Mobile préconise également la « tarification de l’usage de la route » : l’usager paie pour les coûts externes de sa mobilité (embouteillages, particules, etc.). Il peut ainsi mieux évaluer l’opportunité de l’usage de la voiture. Il y a aussi des initiatives qui récompensent les comportements souhaités. Toutes ces applications peuvent être combinées avec des logiciels spécifiques dans un bon plan de mobilité. »
Les solutions innovantes et « intelligentes » sont-elles envisageables pour les collectivités locales et les entreprises ?
« Les villes doivent examiner attentivement leurs objectifs en matière de mobilité et les mesures à adopter pour les atteindre. Parfois, une mesure simple comme l’introduction du stationnement payant, associée à la priorité aux transports publics ou à la construction de pistes cyclables, peut suffire. Ces solutions intelligentes sont implémentables aujourd’hui. Ce qui compte, c’est que la ville garde le contrôle et ne devienne pas trop dépendante des capacités de ses fournisseurs. Qu’elle puisse définir sa propre politique. Le plus grand obstacle reste l’existence d’un cadre législatif clair dans lequel la ville puisse opérer, même si on constate déjà de nombreuses initiatives allant dans le bon sens. »
Bart Ons
Senior Researcher, Transport & Mobility Leuven
Quels sont les plus grands défis en matière de mobilité dans nos villes ?
« Le « Green Deal » de l’Union européenne d’abord, qui encourage la mobilité urbaine durable en mettant l’accent sur l’électrification des véhicules, ce qui nécessite de nombreuses stations de recharge. Cette électrification va s’accélérer et l’infrastructure des stations de recharge sur les voies de stationnement et dans les parkings doit donc être soigneusement étudiée. Deuxième défi : la mise en œuvre d’une gestion basée sur les données. De nombreuses informations utiles peuvent être enrichies en rassemblant des données provenant de multiples applications sur une plateforme de données partagée. Cela permettra à la ville de faire un pas de plus vers le statut de ville intelligente. ».
Quelles sont les technologies susceptibles d’améliorer la qualité de vie des personnes et de la circulation ?
« Nos villes ont déjà mis en place beaucoup de rues commerçantes et de piétonniers. Le centre-ville est de plus en plus axé sur les loisirs et la convivialité. Il est plus facilement accessible à pied, à vélo ou en transports publics. Les gens se déplacent en utilisant plusieurs moyens de transport. À cet égard, le concept MaaS (mobility as a service) est intéressant car il offre un service intégré de différents moyens de transport. En outre, toutes les technologies qui diffusent des informations sont utiles, comme celles sur la densité du trafic ou les places de stationnement libres. L’information permet d’élaborer de meilleures politiques au profit de la circulation en ville. »
Les solutions innovantes et « intelligentes » sont-elles envisageables pour les collectivités locales et les entreprises ?
« Ce n’est qu’en rassemblant, en réutilisant et en enrichissant les données que la technologie devient vraiment intelligente. Exemples : les capteurs de temps de stationnement renseignent également sur la pression exercée sur les parkings et les feux de circulation intelligents fournissent des informations sur les flux de circulation. Une bonne gestion utilise les données pour effectuer des évaluations correctes et prendre des décisions éclairées. Les villes peuvent aussi anticiper les technologies émergentes comme les véhicules automatisés ou les systèmes de transport intelligents coopératifs en s’engageant dans la numérisation complète de l’environnement urbain et en soutenant des projets pilotes innovants. »