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Agri & Food

Joël le fermier en a gros sur la patate

05.08.2019
par Fokus Online

Il a longtemps été un agriculteur heureux. Passé du mode classique au mode biologique, Joël Lambert a moissonné de belles années. Mais depuis quelques saisons, le bonheur est de moins en moins dans le pré…

La Ferme Sainte Barbe se dresse le long d’une petite route à l’entrée de Orp-le-Grand, en Brabant wallon. Dans son hangar central, Joël Lambert, son beau-fils et trois employés s’affairent à préparer les cageots de légumes biotandis que sa femme s’apprête à ouvrir leur magasin qui écoule une partie de la production deux jours par semaine. Une autre partie se fait par livraison de paniers dans la région et jusqu’à Bruxelles. Le virage vers le bio, le fermier en a été un précurseur quand en 1999 il a tourné le dos à l’agriculture industrielle classique et intensive. Un système qui ne cadrait ni avec sa ferme de taille modeste et ses 27 hectares de culture, ni avec l’amour profond de Joël pour une agriculture respectueuse de « la vie des produits, leurs cycles naturels de croissance et l’amour du travail bien fait ».

Le mode de production bio

Le bio a donc été sa clé d’un bonheur radieux pendant 15 ans… Mais depuis 2015, selon le fermier, rien ne va vraiment plus dans l’agriculture en général, ni même dans le bio en particulier. « Le bio évolue mal », analyse Joël Lambert. « Quand je me suis lancé il y a 20 ans dans cette filière on était dans le modèle idéal de vente en direct producteur-consommateur de produits locaux, de saison, issus d’une terre sans intrants. Cette vision d’un bio authentique s’estompe. Le mode de production bio s’industrialise aussi et les grandes surfaces, même les moins chères, s’accaparent ce marché porteur dont l’appellation a perdu son sens. Le consommateur achète indifféremment tous les produits qu’on étiquette bio sans se préoccuper de leur provenance souvent lointaine, des effets de leur production sur la planète, des conditions sociales de la main d’œuvre qui les cultive. Où est alors la dimension “responsable” dans tout cela? »

« La production bio s’industrialise aussi et les grandes surfaces s’accaparent ce marché porteur dont l’appellation a perdu son sens authentique »

Des subsides

Autre bête noire de notre fermier, la PAC, la politique agricolecommune européenne, système généralisé de subsidiation des agriculteurs partout en Europe, bio ou pas. « Ce système dangereux a placé depuis des années tout le secteur agricole européen sous perfusion financière afin de fournir des produits bon marché (et donc de qualité moindre) à un maximum de consommateurs. Cela se fait au détriment du juste prix dû à l’agriculteur », peste Joël Lambert. « Les primes ne sont qu’une maigre compensation de ce juste prix. Mais nous tous citoyens européens finançons par une partie de nos impôts ces subsides ainsi que les frais de soins de santé causés par la malbouffe engendrée. Pire, si demain les agriculteurs n’avaient plus ces subsides européens, toutes les fermes belges seraient en faillite. La PAC a miné notre agriculture. »

L’accès à la terre

Notre agriculteur a encore dans sa besace bien d’autres graines de mécontentement. Comme le fait d’être devenu « un comptable qui croule sous la paperasse pour être en ordre dans tous ses dossiers administratifs, plutôt que d’être aux champs près de ses produits ». Comme l’accès à la terre devenu impossible car impayable. « Mes premières terres achetées en 1989, c’était 7500 euros l’hectare. Aujourd’hui, on est à 70.000 euros l’hectare! Par contre, le prix de vente des produits agricoles, eux,se sont écroulés et les frais de n’importe quel fermier ont explosé »…

Sensibilisation d’alimentation

N’y aurait-il alors plus aucun espoir pour nos champs sous ce ciel plombé de nuages? Joël Lambert lance: « Moi, si je n’avais pas mon beau-fils qui assure la relève, j’arrêterais tout de suite l’agriculture ». Pourtant, on sent qu’il adore ses cultures de 50 % de champs de patates et 50 % de légumes 100 % bio en 40 variétés différentes: des chicons aux betteraves, des asperges aux fèves des marais… Son seul espoir, mais minime, il le place dans le consommateur: « Nous fermiers, on ne peut plus rien y faire. Mon seul espoir est qu’enfin une grosse partie de la population remette en question ses habitudes alimentaires, oriente sensiblement son alimentation vers des produits sains et locaux distribués en circuit court et accepte de payer un peu plus pour nos produits de qualité et la préservation d’un patrimoine agricole authentique. Le consommateur a la main pour tout. Mais nous devons tous nous tenir la main. »

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