Interview par Valérie Kinzounza

Sara Martin Garcia : « Je veux sensibiliser les femmes à s’écouter et à écouter leur corps »

Personnalité pétillante, Sara Martin Garcia, 29 ans, est la créatrice de Nicole magazine, un média digital qui parle sexualité, corps, plaisir féminin et relations amoureuses, avec pour ambition de briser les tabous et libérer la parole des femmes.

Jeune entrepreneure engagée, passionnée par la communication et le digital, Sara se définit aussi et surtout comme « féministe, profondément féministe ». Et s’il y a bien une chose qui la caractérise, c’est qu’elle adore parler. Lorsqu’il s’agit de sujets qui lui tiennent à cœur, elle est incapable de se taire. Rencontre avec une nana passionnante et passionnée. 

Tu as créé Nicole magazine, un média qui veut « déconstruire le cul et repenser le love ». Pourquoi ?

« C’est un média (Instagram et blog) qui est né de la question “comment être une femme ?”. Comment puis-je vivre ma sexualité en tant que femme au sein d’une société toujours très patriarcale. A l’issue de mon master en design éditorial, j’ai dû rédiger un mémoire. C’est arrivé pile à un moment de ma vie où je me posais pas mal de questions suite à des remarques très sexistes que j’entendais régulièrement. Ça m’a travaillé et j’ai décidé d’en faire mon sujet ! J’ai fait des recherches et j’ai découvert le féminisme. Je me suis rendue compte que je n’étais pas la seule à me poser ces questions, que des femmes avaient des éléments de réponse à tous ces mécanismes sexistes, cette culpabilisation des femmes dans la sexualité, cette pression du plaisir, cette prépondérance de la pénétration dans le rapport sexuel… J’ai réalisé que ça s’appelait le féminisme. »

Donc c’est en te documentant que tu t’es éveillée au féminisme ?

« Oui. J’ai rencontré des sexologues, j’ai fait des interviews… Ça m’a passionné ! J’ai eu l’impression de découvrir un nouveau monde en cohérence avec moi-même et avec mes valeurs. Je n’avais alors que 23 ans, mais ça m’a vraiment pris aux tripes. Colère, sentiment d’injustice, je bouillais à l’intérieur de subir ce sexisme ordinaire quotidiennement. Aujourd’hui, je le vois encore davantage mais j’arrive à comprendre pourquoi. J’ai toujours aimé comprendre la racine des choses. »

Quel est le déclencheur qui t’a poussée à créer ton propre média ?

« Tout a découlé de la rédaction de mon mémoire, que j’ai décliné sous forme de magazine conceptuel en 4 numéros. Le thème tournait autour de l’intimité et de la perception du plaisir. J’ai appelé ce magazine « Nicole ». À partir de là, je me suis dit que j’avais encore plein de choses à explorer. Je n’avais aucune envie d’arrêter ce travail donc j’ai décidé de me lancer avec l’aide d’un incubateur. » 

Nicole, ça vient d’où ? 

« Je voulais un prénom, et ça fait tout bêtement référence à l’actrice Nicole Kidman. Par la suite, j’ai appris, grâce à l’étymologie du nom Nicole, que le suffixe col vient du latin “colere” qui veut dire “habiter” (être dans son intimité). On dit d’un animal qu’il est nidicole quand il reste dans son nid longtemps. Cela peut aussi s’apparenter à l’intimité. Le hasard fait bien les choses et tout a pris son sens ! »

Parler de soi avec sincérité, ça produit un effet miroir, et ça ouvre la discussion.

Quel est ton objectif avec Nicole ?

« Que Nicole prenne vie. Je veux briser les tabous, libérer la parole. Quand j’ai lancé le projet, j’ai reçu un accueil super positif. Dans la foulée, j’ai créé une collection capsule de t-shirts avec des messages sexo bienveillants. Ensuite, j’ai écrit un livre, Dîner avec Nicole, financé grâce à un crowdfunding. Je crois tellement à ce projet que je veux être sur tous les terrains. Et ça marche ! Il faut dire qu’à Liège, je suis une des premières à parler de sexe aussi librement. »

Et puis tu as lancé aussi des événements…

« Oui, « Les causeries », qui sont des cercles de parole. En fait, je ressens cette envie de rencontrer les gens et je vois que les femmes qui me suivent ont vraiment envie de parler de cul, en positif et en négatif. Elles ont besoin d’échanger, de partager. Un exemple très simple : les douleurs pendant les rapports. C’est un sujet tabou. On n’en parle pas ou on normalise la chose. Moi, j’ai souvent eu des douleurs pendant mes rapports et ça me tracassait. Jusqu’au jour où j’en ai parlé avec mes amies de façon très libre : presque toutes éprouvaient la même chose, mais le fait d’entendre quelqu’un l’exprimer a été un déclic. On nous éduque à ne pas le dire. Ça m’a révoltée parce que pendant des années, je n’ai jamais osé en parler car je pensais que c’était normal. J’ai peut-être loupé une partie de ma sexualité alors que si j’avais osé le dire dès le départ, j’aurais pu trouver une solution. On ne nous permet pas d’appréhender notre corps et notre plaisir à cause de schémas ancrés et de tabous ridicules persistants. Je sais qu’il y a cette envie d’en parler parce que je reçois plein de messages et de témoignages de femmes qui vivent la même chose. »

D’ailleurs, tu n’hésites pas à parler de toi et de tes expériences amoureuses ou sexuelles.

« Avec mes ami(e)s, je suis la pote qui n’est pas gênée de parler de cul. Et quand tu es la première à amener le sujet, les langues se libèrent.  Je me suis dit qu’à plus grande échelle, ça pouvait aussi être chouette. Au début, j’avais très peur de la légitimité. Qui suis-je pour parler de ça ? On m’a tellement répété que je ne suis ni sexologue, ni gynécologue,… Mais je suis une femme qui vis dans cette société, qui a une sexualité et ça me donne la légitimité de parler de ce que je vis. Entretemps, je me suis également formée (j’ai notamment obtenu un Certificat de l’ULB en Genre et Sexualité) alors je sais de quoi je parle. Mais souvent, commencer à parler de soi casse tout l’argument de la légitimité. Parce que je l’ai vécu, je suis légitime pour en parler. Le fait de parler de soi, de choses parfois drôles ou gênantes, ça humanise le propos, ça dédramatise et c’est hyper important. Parler de soi avec sincérité, ça produit un effet miroir: les gens se reconnaissent  (ou pas) mais la discussion s’ouvre. »

Qui est ton public-cible ?

« Quand j’ai lancé Nicole, je voulais que cela parle à tout le monde, femmes ou hommes, peu importe l’âge. Au fur et à mesure, ça a évolué. Ma façon de m’exprimer et mon style parlent plus à des filles de mon âge. J’ai également réalisé que je passais énormément de temps à répondre à des hommes qui voulaient juste me contredire. Lorsqu’on parle de féminisme sur les réseaux sociaux, on s’expose à de la violence, à des injures… Or ce n’est pas à moi d’éduquer les hommes (surtout ceux qui ne veulent pas l’être), donc j’ai changé mon positionnement pour m’adresser à des femmes de 25-35 ans. Le plaisir féminin et les réflexions féministes devraient intéresser autant les femmes que les hommes mais dans la réalité, ce n’est pas le cas. »

sexualité

Est-ce que tu as des tabous ?

« Je n’ai aucun mal à parler sexualité, mais je suis très orientée “société”. J’ai plus de mal à parler de pratiques ou de “technique”. Quand je rédige un article sur le clitoris, ça parle de la place du clitoris dans la société. Je ne parle pas de cul pour le cul. Il y a toujours une réflexion ou une analyse derrière. »

Est-ce que ta façon d’aimer a changé depuis Nicole ?

« Ça a un peu compliqué ma vie amoureuse ! Moi je suis hétéro… donc c’est compliqué de vivre avec un homme en connaissant tous les mécanismes patriarcaux, puisque le couple hétéro, c’est le patriarcat dans l’intime. On retrouve beaucoup de mécanismes dans le foyer : sexualité, relation à l’argent, éducation des enfants, charge mentale… J’ai l’impression qu’aujourd’hui, si je devais être en couple, j’aurais une relation amoureuse plus saine, en sachant mettre des mots sur ce qui ne va pas. Personne n’est parfait et j’ai aussi appris à savoir sur quoi j’accepte de lâcher prise. »

Qu’est-ce qui te hérisse le plus dans les relations hommes-femmes ?

« Le rapport sexuel en lui-même. Le fait que le schéma entrée-plat-dessert (préliminaires-pénétration-éjaculation) soit pensé par et pour les hommes. Chez la femme, c’est le clitoris qui provoque le plus un orgasme. Or, on associe trop souvent l’amour à la pénétration uniquement. Ça me révolte qu’on base toute notre sexualité, notre plaisir à nous, les femmes, sur ce qui fait kiffer les hommes. Je reçois plein de témoignages de femmes qui me disent que c’est hyper dur de dire à leur homme que la pénétration, c’est pas leur truc préféré. Ils le prennent directement mal, parce que, pour eux, s’il n’y a pas de pénétration, ce n’est pas faire l’amour. Combien de femmes ai-je entendu dire: “ s’il a joui, c’est bon”,  car on est éduquées comme ça. Mais comment veux-tu vivre une sexualité épanouie si toi-même tu ne sais pas ce qu’il se passe entre tes jambes ? Tu dois savoir ce qui te fait plaisir à toi ! En fait, tout est ok si tu te sens libre de tes choix et que tu peux en parler. Tu aimes la pénétration ? C’est génial ! Tu n’aimes pas ? Tu dois oser le dire. »

Ça t’a fait quel effet de « devenir féministe » ? 

« J’utilise souvent la métaphore des lunettes. Une fois que tu mets les lunettes du féminisme, tu ne peux plus jamais les enlever. Dès le moment où tu les portes, tu vois le monde sous un nouveau jour, ce qui n’est pas vraiment top. C’est pour cela que c’est bien de pouvoir parfois les oublier afin d’éviter le burn-out militant car c’est épuisant d’être aussi engagée. »

Le mythe du prince charmant, tu en penses quoi ?

« Malgré mes engagements féministes, je reconnais que je reproduis certains comportements patriarcaux. C’est une dualité que j’accepte et le mythe du prince charmant en fait partie. Je préfère en parler en d’autres termes, parce que l’image du prince charmant sur son cheval blanc qui vient sauver la princesse ne me fait pas rêver. Être sauvée par un homme, non. Ça fait partie des mythes de l’amour romantique qu’il est vraiment urgent de déconstruire. Cependant, je reste une grande loveuse dans l’âme donc j’espère vivre une belle et vraie relation, saine, épanouissante, pleine d’amour et de respect… Mais il faut dépoussiérer l’amour tel qu’on le connaît. »

03.05.2023
par Valérie Kinzounza
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