Interview par Bastien Craninx

Muriel Bernard: “Mieux manger, c’est bon pour soi et c’est bon pour la planète !”

Muriel Bernard nous parle de son projet eFarmz, véritable révolution alimentaire sur le net. Elle évoque ce qui aujourd’hui fait sens dans sa nouvelle vie d’entrepreneuse moderne : avoir un impact positif sur la vie des gens.

Comment en êtes-vous venue à créer eFarmz en 2013 ?

« J’ai travaillé pendant 12 ans dans des multinationales comme Gillette, Levi Strauss ou encore Orange à des postes de vente et de marketing. Au fur et à mesure, j’ai commencé à trouver moins de sens dans ces rôles. Chez Orange, la dernière entreprise pour laquelle j’ai travaillé, je sentais que je n’avais plus vraiment d’impact et que moins de place était réservée à l’innovation. En parallèle, j’ai toujours gardé cette envie d’entreprendre dans un coin de ma tête. Je n’avais jamais osé me lancer. Aucun membre de ma famille n’ayant été entrepreneur, je ne disposais pas de cette culture de référence. Au fur et à mesure pourtant, je me suis rendu compte qu’il y avait moyen de faire autre chose avec plus de sens et plus de plaisir. Lorsque ma fille est entrée en maternelle, j’ai eu plus de temps pour moi et j’ai pu me consacrer à mon projet. Une chose était certaine : si je créais ma propre boîte, je voulais que celle-ci ait un impact positif sur l’écosystème. Je voulais quelque chose qui ait du sens et dont je puisse être fière. Je refusais de reproduire les mêmes défauts présents dans les multinationales. »

Pensez-vous qu’aujourd’hui trouver du sens dans son travail est primordial ?

« Bien sûr ! Le travail occupe une grande partie de notre vie. Y trouver du sens a donc toute son importance. On a été trop loin dans les jobs vides de sens. Il faut retrouver un équilibre. Se contenter de maximiser le bénéfice des actionnaires, ça ne parle plus à personne. Les entreprises doivent s’engager pour le bien-être avant tout. C’est notamment pour cette raison que nous n’avons aucun mal à recruter chez eFarmz. » dit Muriel Bernard.

Comment avez-vous procédé pour développer votre projet eFarmz ?

« L’initiative est née d’une prise de conscience. Je n’arrivais à manger sainement que lorsque j’étais en congé. Le reste du temps, je n’allais jamais chez le boucher, chez le boulanger ou au marché. Dans ma vie de tous les jours, je faisais mes courses express et j’achetais la même chose chaque semaine. Personne n’y prenait du plaisir dans ma famille. Je me suis alors demandé s’il n’y avait pas un moyen de faciliter l’accès aux produits frais de la ferme. J’ai donc discuté avec des petits producteurs locaux que j’ai directement sentis enthousiastes. J’ai conçu moi-même la première version du site. Puis j’ai proposé le premier produit pour tester le marché. L’engouement général était total. J’ai eu pas moins de 200 commandes dans les premiers jours. Deux ans plus tard, ma première levée de fonds était faite. Je pouvais engager toute une équipe. Durant cette période, je me suis rendu compte qu’une bonne partie de la population était attachée au bio local. « 

Je me suis rendu compte qu’une bonne partie de la population était attachée au bio local.

Pensez-vous qu’aujourd’hui l’alimentation est un grand problème dans notre société ?

« Oui, en tous cas c’est un sujet primordial. L’alimentation touche à la santé des gens et à l’environnement. Le GIEC a notamment démontré que 26% des émissions de CO2 étaient liées à l’industrie agro-alimentaire et à ses transports irrationnels. Donc, il est important de manger local et en circuit court. Pourquoi faire voyager des tomates provenant de serres chauffées à l’autre bout de la planète en hiver ? Ça n’a pas de sens ! On peut changer notre impact sur l’environnement. Mais pour ce faire, il faut privilégier la culture bio durable plus que la culture industrielle. En ce qui concerne la santé, le lien est également vite fait. Tout ce qui est malbouffe, trop sucré, trop gras, rempli d’additifs est criminel pour la santé. Mieux manger, c’est bon pour soi et c’est bon pour la planète ! » raconte Muriel Bernard.

Manger local serait donc la solution…

« Oui, cela offre plus de transparence. Si on achète nos produits chez un boucher qu’on connaît, on crée du lien et on cherche à comprendre d’où vient le produit en question. Cela change tout. Dans les supermarchés, vous ne savez pas où et comment vos aliments ont été transformés. La plupart des scandales alimentaires arrivent lorsque la chaîne de transformation est trop longue et trop compliquée. D’autre part, manger local, c’est aussi suivre le rythme des saisons. Chaque saison fait en effet la part belle aux besoins de notre organisme. Enfin, consommer local, c’est permettre à des producteurs locaux de vivre. C’est un cercle vertueux. On crée de l’emploi dans des domaines qui ont du sens. » 

Muriel Bernard

Pourquoi avez-vous remporté le Bold Woman Award, d’après vous ?

« Ce prix que l’on nomme également le prix Veuve Clicquot a été créé il y a quelques années. Il récompense les femmes d’affaires audacieuses. A l’époque en effet, cette femme avait lancé son champagne à la mort de son mari. Elle était partie de rien. Je crois que le jury a aimé mon projet parce qu’il mêle tradition, authenticité et modernité. eFarmz nourrit des milliers de familles chaque semaine. Je crois qu’avoir eu ce parcours sans expérience entrepreneuriale devait être souligné. L’idée que les femmes peuvent se lancer et créer des boîtes comme eFarmz doit être partagée. » explique Muriel Bernard.

Croyez-vous qu’aujourd’hui nous avons atteint la parité homme-femme dans le travail ? 

« Non, on sait qu’il n’y a toujours pas de parité en ce qui concerne les CEO, le management, les conseils d’administration ou encore les postes de direction. Pourtant, les femmes apportent beaucoup dans ces rôles-là. Je crois que la solution pour y arriver est de travailler avec des quotas. Il faut aussi pousser les femmes à se lancer, à y croire, à refuser les organisations institutionnelles du monde d’avant. La sensibilisation doit également jouer un rôle majeur. Nous n’y sommes pas encore. Mais j’espère que lorsque ma fille sera en âge de travailler, nous aurons franchi une étape capitale. » dit Muriel Bernard.

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Si vous n’aviez pas travaillé dans ce secteur, qu’auriez-vous voulu faire dans la vie ?

Je crois que je serais restée proche de la nature. Je me serais lancée dans la production. Qui sait ! Peut-être aurais-je eu des vignes. Je me serais mise à produire mon propre vin ou un autre produit proche du terroir. L’idée, je crois, aurait été de rester au cœur de la production d’un produit authentique. Cela aussi aurait eu du sens.

26.05.2022
par Bastien Craninx
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