Interview par Fokus Online

Ibrahim Ouassari: « Il est tout à fait permis de rater »

Ibrahim Ouassari est le cofondateur et CEO de MolenGeek, le centre de formation IT et écosystème technologique. Il évoque sa vision de l’enseignement et de ses manquements actuels, mais aussi l’importance de changer les mentalités stagnantes.

En créant MolenGeek, quelle était votre mission première ?

« Nous souhaitions rendre les technologies accessibles à tous. Mais en nous focalisant sur les jeunes qui ont quitté l’école trop tôt. Car ils sont les plus durs à convaincre. Quand ils échouent dans leur vie scolaire, ils entrent dans un cercle vicieux : d’abord ils ratent leur vie professionnelle parce qu’ils n’ont pas de diplôme. Ils ratent aussi leur vie sociale, car ils n’ont pas d’argent pour sortir avec leurs amis. Alors ils s’enferment dans leur chambre pour jouer à des jeux vidéo. Leur vie familiale en prend également un sacré coup car cet isolement social est la seule vision qu’ils offrent d’eux-mêmes à leurs parents. C’est pour ça qu’on a mis en place une communication qui leur est adaptée : pas de jugement et beaucoup de collaboration, ce qu’on appelle la triche à l’école ! »

Peut-on dire que c’est un système qui se distingue du système d’enseignement classique ?

« Tout à fait ! On vient à MolenGeek avec un mindset entrepreneurial et pas un mindset scolaire. Nous acceptons tous les types de candidats à condition qu’ils soient motivés. D’ailleurs, on valorise l’échec. C’est dur à vivre, mais on en retire toujours quelque chose. Et je suis bien placé pour le dire, car j’ai moi-même quitté l’école à 13 ans. Nombreux sont ceux qui m’ont fait remarquer que je n’avais rien appris parce que j’avais tout raté. Mais ils se trompent sur toute la ligne ! J’ai appris la plus belle chose au monde : il est tout à fait permis de rater. C’est ce qui m’a justement permis d’avancer sans peur des risques. J’ai avancé plus vite car je n’ai pas été freiné par la peur de l’échec. L’école peut avoir beaucoup d’influences négatives sur notre vie. Elle pousse à être égoïste, à juger sans arrêt, à pointer du doigt et à vouloir être le premier. Mais il faut aussi apprendre qu’il y a des deuxièmes, des troisièmes et que dans le monde du travail, on souhaite avant tout le succès de toute l’entreprise, pas d’un individu en particulier. »

Aujourd’hui, on peut être le plus grand des médecins et être complètement illettré digitalement.

Quelle est donc la formule magique de MolenGeek ?

« L’inspiration ! Ici, nous n’avons pas de professeurs au sens premier.  Nous avons des coachs. Et les coachs d’aujourd’hui ne connaissaient rien il y a à peine un an. Ils étaient à la place des élèves. Coachs et coachés ont d’ailleurs généralement le même âge. Ça n’a l’air de rien, mais ça joue énormément dans l’esprit des apprenants. Ils se disent : « Si lui a pu apprendre, moi aussi je le peux ! ». De là découle une dynamique d’entraide. Les coachs chez nous sont des mentors qui poussent les élèves à développer d’autres capacités cérébrales que la restitution de contenu. Contenu que les élèves peuvent trouver partout sur Google. Ici, on leur apprend à apprendre ! Apprendre à faire une recherche Google intéressante ou à lire une documentation, ça peut commencer par là. »

Estimez-vous que cet apprentissage technologique fait défaut dans notre société actuelle ?

« Absolument ! Jadorerais quon sorte de la 6ème secondaire avec de bonnes bases en termes d’algorithmes de données par exemple. C’est primordial de comprendre comment ça fonctionne. Car cette mécompréhension est source de grandes tensions dans notre vie de tous les jours. Prenons un exemple : sur les réseaux sociaux, vous ralentissez votre scroll sur une vidéo présente dans votre feed d’actualité. Cela va, à l’avenir, favoriser l’apparition de vidéos ou d’informations du même type. Résultat : vous finissez par vivre dans votre bulle. Il faut casser cette bulle ! Aujourd’hui, on peut être le plus grand des médecins et être complètement illettré digitalement. Si vous ne comprenez pas le monde de la tech, vous ne comprenez pas le monde dans lequel vous vivez. Et en le comprenant, vous évitez d’en devenir l’esclave. Oui, l’esclave ! Car les dérives peuvent mener à des troubles alimentaires ou à une radicalisation de ses opinions politiques par exemple ! »

Ibrahim Ouassari

On sait que les profils IT font cruellement défaut sur le marché de l’emploi actuellement. Croyez-vous pouvoir changer la donne ?

« Nous répondons à une infime partie de la problématique. Mais il est certain que nous offrons une solution réelle en termes de nouveau canal de recrutement. Que l’on parle de PwC, SalesForce ou encore Proximus, ces grandes entreprises nous prennent très au sérieux. Mais nous devons encore nous développer. Nous ne formons que 400 personnes par an dans notre écosystème à Molenbeek. C’est une goutte d’eau dans le secteur informatique. Mais le modèle MolenGeek a une visée bien plus importante de créer un impact sur notre société. Il transforme des chercheurs demplois, qui peuvent représenter « une charge » pour la société, en citoyens qui paient des taxes et résolvent des problèmes. On investit dans le colmatage d’une fuite pour en faire un apport dessence. Ça n’a pas de prix ! »

Comment votre formation va-t-elle permettre de diversifier le monde de l’entreprise ?

« À partir du moment où l’on rassemble des gens différents qui ont un intérêt commun, la diversité est inhérente à notre formation. C’est dans notre ADN. On met de plus en plus de personnes de cultures, de religions et de sexes différents sur le marché de l’emploi. Tous ont les compétences adéquates. L’entreprise ne peut plus faire la fine bouche vu la pénurie de talents. D’un autre côté, les entreprises se rendent aussi compte qu’elles ne représentent pas la société actuelle et elles veulent changer la donne. Cette diversité amène de la richesse et un prisme différent. Pour réaliser cette interview, par exemple, nous sommes tous deux venus à pied mais nous n’avons pas fait attention à la hauteur des trottoirs. Vous savez pourquoi ? Parce qu’aucun de nous n’est en chaise roulante. De même qu’en tant qu’hommes, on ne fait pas attention à la manière dont on s’habille lorsqu’on sort dans la rue tard le soir. Cest pour cela que la diversité est importante en entreprise. Recruter des personnes différentes permet d’apporter une réflexion elle aussi différente sur des sujets qui concernent la société dans son ensemble. »

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Quelle a été la personne qui vous a le plus inspiré ?

« Quand j’étais étudiant, j’ai travaillé dans un abattoir ici à Molenbeek. Et bien, c’est le commerçant pour lequel je travaillais qui m’a le plus inspiré. Il possédait un abattoir de volaille, mais c’est lui qui m’a le plus appris sur l’entrepreneuriat : l’humilité et le besoin de rester concentré sur sa tâche et la satisfaction des clients. »

 

16.06.2022
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