Interview par Célia Berlemont

Hélène Darroze: À table avec Hélène

À 55 ans, la cheffe multi-étoilée de 4ème génération, jurée emblématique de l’émission Top Chef et mère de deux filles Hélène Darroze n’est plus à présenter. Partons à la rencontre de celle qui sait allier douceur et magie dans chaque assiette.

Héritage familial oblige, vous sembliez destinée à devenir une cheffe de renom. Avez-vous envisagé un autre parcours ?

« En fait, la question d’être cuisinière ne s’est pas du tout posée. Quand j’ai obtenu mon baccalauréat au milieu des années 80, il était impossible d’imaginer qu’une femme, de surcroît bonne élève, fasse de la cuisine son métier. Dans ma tête comme dans celles de tout mon entourage, ces deux stéréotypes qui voulaient que les bons élèves partent faire de grandes études et que les apprentissages de cuisine soient réservés aux hommes avaient la vie dure. Après mon baccalauréat, j’ai fait une école préparatoire et des grandes écoles de commerce. Une fois diplômée, le hasard et mon amour pour le secteur de l’hôtellerie m’ont permis d’aller travailler chez Monsieur Alain Ducasse. En réalité, c’est cette rencontre qui, à 25 ans, m’a fait ouvrir les yeux sur ma passion et mon habilité à faire ce métier. » dit Hélène Darroze.

Être cheffe multi-étoilée et être cheffe multi-étoilée à la TV, finalement ça change quoi ?

« Pas grand chose ! Je suis très heureuse d’avoir les étoiles que j’ai et je prends beaucoup de plaisir à faire ces émissions de
TV ! Obtenir une troisième étoile a été mon plus grand bonheur professionnel. Maintenant, mon challenge de tous les jours, ce n’est pas d’obtenir 5, 6, 7 étoiles ou de passer à la télévision et de faire de l’audimat. C’est l’épanouissement de mes collaborateurs et le bonheur de mes clients. »

Je suis très heureuse d’avoir les étoiles que j’ai et je prends beaucoup de plaisir à faire ces émissions de TV !

Et vos filles, elles en pensent quoi ?

« Alors ça, c’est à elles qu’il faudrait le demander ! Comme moi, elles sont nées dans une cuisine, c’est leur quotidien. Depuis toutes petites, elles sont habituées à cet univers ainsi qu’à la proximité des clients. C’est leur vie et elles la trouvent normale. » explique Hélène Darroze.

Pas de brigade et d’esprit militaire dans votre cuisine. Les valeurs familiales sont-elles le vrai moteur d’une équipe performante ?

« Oh oui ! Complètement par hasard, j’ai appris il y a 3 ou 4 ans qu’à mon insu, mon équipe m’appelait “maman”. Ça veut dire beaucoup. De mon côté, le terme “famille” est celui que j’emploie pour qualifier mes collaborateurs et l’équipe que nous formons. On est une grande famille et c’est dans ces valeurs et cet esprit que je m’efforce de travailler. »

Au petit écran, la crainte qu’inspire un chef et son talent semblent être intrinsèquement liés. Dans la vraie vie, c’est plutôt un portrait réaliste ou un mythe ?

« Cette attitude de chef redoutable a été juste à un moment donné. Maintenant, je pense que c’est de moins en moins le cas, voire plus du tout. C’est vrai qu’en tant que chef de cuisine et chef d’entreprise, nous avons une réelle responsabilité, celle de donner du bonheur aux gens. Deux fois par jour, cette responsabilité, ce coup de feu, n’est pas toujours simple à gérer. Pour autant, on a compris aujourd’ hui que ce stress pouvait se gérer autrement que par des cris. Dans mon équipe, beaucoup m’ont dit avoir eu besoin d’un temps d’adaptation parce qu’il fallait m’appeler Hélène et pas chef et ne pas hésiter à me solliciter ou venir me parler. Je n’ai pas besoin qu’on m’appelle “chef ” pour me faire respecter et imposer de la rigueur. Mon prénom c’est Hélène et je pense que de plus en de chefs s’inscrivent dans cette même manière de gérer leurs équipes. » raconte Hélène Darroze.

Hélène Darroze

Au travail et à la maison, la meilleure qualité s’il ne peut en rester qu’une : rigueur ou bienveillance ?

« Dans notre métier, surtout quand on exerce à un niveau exigeant avec deux ou trois étoiles au guide Michelin, la rigueur est obligatoire. Mais attention, elle doit s’inscrire dans un esprit de communication, de respect et d’écoute de l’autre. La rigueur ne doit pas être injuste et entraîner le manque de respect. Au même titre, la bienveillance n’empêche pas la rigueur. Il faut trouver le juste milieu pour imposer une rigueur constructive permettant de reconnaître ses bêtises, de les réparer au plus vite et de mettre en place tout ce qu’il faut pour ne pas les reproduire. »

Du Royaume-Uni à la France, vos établissements (The Connaught, Le Marsan, Jòia et Villa la Coste) se complètent mais ne se ressemblent pas. Sont-ils, en quelque sorte, l’expression de vos différentes facettes ?

« Quand je lance un restaurant, c’est en lui conférant une identité propre qui prend racine dans le lieu où il est inscrit. La culture autour de mes établissements et les produits locaux qui l’entourent sont des éléments qui vont les façonner et leur donner une personnalité à part. Après, ils répondent tous aux mêmes valeurs d’authenticité, de générosité, de créativité et de durabilité. » dit Hélène Darroze.

Votre inspiration se trouve-t elle pluôt dans les quartiers huppés ou au détour d’une rue populaire ?

« Je suis inspirée par tout ce que je vis. Quand je voyage, par exemple, je vais plus souvent manger de la street food que dans des grands restaurants. Dans mon enfance, en famille, on mangeait une cuisine de paysans. Au final ma cuisine à moi est aussi inspirée par cela. Alors bien sûr, ces saveurs sont adaptées à ma clientèle. Mais les sources d’inspiration sont sans limites. Mon plat signature est inspiré d’un boui-boui découvert en Inde, il mélange les épices Taandori avec tous les parfums de l’Inde. »

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Si vous étiez un ingrédient, vous seriez ?

« L’œuf ! J’adore ce produit là, il y a tellement de façons de le cuisiner ! »

Typiquement, dans votre frigo et placard, on trouvera toujours: des oeufs (toujours), des confitures de chez Christine Ferber, un bon beurre, des cornichons (une de mes filles en raffole), du miso, de la ventrèche (une poitrine de
porc poivrée), des légumes de saison, de très bonnes pâtes (le plat plaisir de partage par excellence), une bonne huile d’olive, de la graisse de canard (je cuis tout à la graisse de canard) et du saucisson.

26.08.2022
par Célia Berlemont
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