Interview par Frédéric Vandecasserie

Hans Kluge: « Nous entrons dans un âge d’or. »

En deux ans, la recherche médicale a été bouleversée en termes de résultats et de reconnaissance. Mais les moyens sont-ils là ? Réponse du docteur Hans Henri P. Kluge, Directeur régional de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) pour l’Europe.

La recherche médicale semble avoir progressé à pas de géant et gagné en reconnaissance ces deux ou trois dernières années…

«Nous entrons dans un âge d’or de la recherche et de l’innovation médicales ! La communauté scientifique a fourni des efforts gigantesques et le nombre d’études consacrées au COVID-19 a augmenté, tout comme les collaborations entre groupes de recherche de différentes disciplines. Et cela en vue de fournir les meilleurs éléments de preuve dans cette crise sanitaire, sociale et économique qui ne cesse d’évoluer. Ce fut une grande opportunité pour les chercheurs. » dit Hans Kluge.

Quelles leçons tirerons-nous de cette « période Covid » en termes de recherche médicale ?

« La mise au point de dispositifs de diagnostic et de vaccins en si peu de temps est exemplaire, et nous pouvons être extrêmement fiers de cette réalisation. Mais nous devrons également trouver des réponses à de nombreuses questions brûlantes concernant la manière de gérer la pandémie, qu’il s’agisse de déterminer comment garder les écoles ouvertes tout en préservant la sécurité des enfants et des enseignants, ou de contrôler la transmission par une surveillance ciblée du virus. »

Outre les médecins, les citoyens ont-ils été, eux aussi, davantage conscientisés récemment par rapport à l’importance de la recherche médicale ? 

« 54 % des Belges se déclarent « très intéressés » par les nouvelles découvertes scientifiques et les développements technologiques, contre 33 % pour les 27 États membres de l’Union Européenne. 

Parallèlement, 94 % des Belges affirment que les vaccins et la lutte contre les maladies infectieuses auront un effet positif sur notre mode de vie au cours des 20 prochaines années, et 60 % des Belges estiment que la santé et les soins médicaux seront les domaines de prédilection de la recherche et de l’innovation dans les années à venir. 

Ces chiffres illustrent à quel point les Belges, et tous les Européens, valorisent la recherche, le développement et l’innovation pour améliorer leur vie actuelle et future. Il appartient maintenant aux décideurs politiques de capitaliser sur cet intérêt. »

La mise au point de dispositifs de diagnostic et de vaccins Covid en si peu de temps est exemplaire.

Car la reconnaissance est une chose, mais les moyens alloués en sont une autre. Avez-vous noté de la reconnaissance de la part des politiques et/ou des milieux financiers ces dernières années ?

« Les responsables politiques et les autorités sanitaires reconnaissent de plus en plus que c’est la science, avec ses méthodes et processus rigoureux, qui offre le meilleur espoir de solutions crédibles et efficaces pour nous sortir de cette crise sanitaire majeure et faire face, ensuite, à toutes les menaces futures. 

Toutefois, il est possible de faire plus en termes de financement et de consolidation des capacités de recherche dans les différents pays pour exploiter les données locales et contribuer à une base de données probantes au niveau mondial. Le COVID-19 nous a appris que le partage de l’information est une question de vie ou de mort, et que les données sont l’élément-clé de l’ensemble. Nous devons tirer ces leçons maintenant ou risquer de répéter les mêmes erreurs. » raconte Hans Kluge.

La réglementation européenne globale, au lieu de règles parfois différentes dans chaque pays, a-t-elle permis d’améliorer l’efficacité de la recherche et de sa validation ?

« Il est clair que des réglementations, des normes de qualité et des principes unifiés facilitent la collaboration entre scientifiques et groupes de recherche de différents pays.  

Mon objectif dans la « région Europe » est de parvenir à une plus grande cohérence des politiques pour tous les aspects des soins de santé et de la recherche. Une des leçons importantes de la pandémie est que ce qui se passe dans une partie du monde peut rapidement en affecter une autre partie. Si nos politiques sont conçues dans cette optique, elles seront plus efficaces. » explique Hans Kluge.

Si la recherche a vu sa reconnaissance s’accroître ces dernières années, pensez-vous qu’elle ait également été diffusée de manière plus efficace et plus « large » à l’adresse du public ?

« Les autorités nationales, ainsi que les organisations internationales comme l’OMS et d’autres, ont consenti des efforts considérables pour traduire et diffuser les résultats complexes de la recherche dans un langage clair et simplifié au public. Ceci inclut le développement de tableaux de bord numériques, de fiches d’information, d’infographies… Jamais auparavant les chercheurs n’avaient bénéficié d’autant de « temps d’antenne ». Mais… »

Hans Kluge

Mais ?

« …il reste néanmoins encore beaucoup à faire pour atteindre différents groupes de personnes avec des niveaux d’éducation et de compréhension différents. Y compris en ce qui concerne le concept d’incertitude et le fait que les recommandations peuvent changer lorsque de nouvelles preuves apparaissent ou que le contexte évolue. »

Par contre, quand on parle de communication, en quoi est-il important d’éviter la « collusion » entre le secteur médical et l’industrie pharmaceutique ?

« Il s’agit plus de gestion de « conflits d’intérêts » que de collusion. 

L’OMS dispose de politiques solides pour garantir l’absence de conflits d’intérêts dans toute collaboration ou partenariat entre le secteur des soins de santé et les firmes pharmaceutiques. Et nous sommes prêts à conseiller les États membres, et d’autres acteurs, quant à la manière de mettre en œuvre ces politiques. »

Toutefois, dans certaines circonstances bien balisées, des relations fortes entre le domaine médical et le secteur industriel peuvent aussi avoir des conséquences positives…

« La collaboration est essentielle ! Car l’industrie crée des produits dont nous avons besoin en tant que société. Mais cette coopération doit se dérouler de manière rigoureuse. Afin de gérer les conflits potentiels, de garantir la transparence et la responsabilité et de répondre aux besoins en matière de santé publique. L’« Initiative d’Oslo pour les médicaments » en est un excellent exemple. Elle donne l’occasion aux secteurs public et privé de se réunir pour discuter de la manière de bâtir une industrie et un système de soins de santé durables pour garantir l’accès aux médicaments. » dit Hans Kluge.

17.03.2022
par Frédéric Vandecasserie
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