Selon vous, quelle est la place de l’écologie dans le système économique actuel ?
« Plus de 50 % du PIB mondial dépend de la nature alors que nous restons dans une logique d’extraction et de non-préservation des ressources naturelles, pourtant essentielles à la vie et aux échanges économiques. Nous devons réencastrer l’économie dans les limites biocapacitaires pour permettre le renouvellement des ressources naturelles en respectant les limites planétaires, ainsi que le plancher social décrit par le modèle du donut. »
C’est un grand défi ?
« La population se divise en trois groupes : deux de 15 % et un de 70 %. D’un côté, nous avons les 15 % les plus militants voulant imposer la transition écologique. Aux antipodes, les autres 15 % voient un océan d’opportunités pour créer un capitalisme vert. Ces deux blocs occupent la scène médiatique avec deux récits diamétralement opposés. Le défi est de créer un récit enthousiasmant fédérant la majorité silencieuse des 70 %. »
Cette situation est-elle présente à tous les niveaux ?
« Localement, des expérimentations systémiques positives émergent comme le système de mesure par les citoyens des émissions de CO2 en situation de mobilité développé à Lathi ou à Lyon. L’expérience des habitants est géniale : la différence entre le quota mensuel et leur consommation est convertie en monnaie locale. À Bruxelles, la stratégie régionale de transition économique, la Shifting Economy, permet de transformer le cadre institutionnel soutenant la transition grâce à une coordination transversale unique des acteurs. »
Aujourd’hui, nous ne subissons pas encore les conséquences complètes de nos dérives de surconsommation.
Et au niveau mondial ?
« Tout est interrelié dans notre écosystème. Plus la population va croître, plus le commerce et les relations vont se développer à l’international et plus ces interrelations vont se complexifier. Et là, il y a un souci. Le Nord consomme la majorité des ressources et impacte le Sud par la surexploitation des ressources, des emplois indécents et l’exportation de nos déchets. Aujourd’hui, nous ne subissons pas encore les conséquences complètes de nos dérives de surconsommation, car l’écoconception de produits plus respectueux des humains et de la nature est loin d’être la norme. »
C’est ici que peut intervenir l’économie circulaire. Quelle en est votre définition ?
« Parmi les 114 définitions, j’utilise celle de l’ADEME. L’économie circulaire est un système économique d’échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des biens, vise à rationaliser l’utilisation des ressources et à réduire son impact sur l’environnement, tout en augmentant le bien-être des individus. J’ajoute qu’il doit viser la robustesse de l’économie et être structuré suivant les trois étapes de l’échelle de Lansink : repenser le modèle économique, réutiliser et enfin recycler. »

L’économie circulaire est donc devenue un enjeu indispensable ?
« Moins de 8 % de l’économie mondiale est circulaire. L’économie mainstream n’est pas efficace pour gérer les ressources. Par exemple, 20 % de l’alimentation produite n’est jamais consommée ! Nous sommes aussi ultra-dépendants des matières premières. Pourtant, avec les déchets-ressources, nous disposons de mines urbaines pouvant recréer des chaînes de valeur partielles. Dans les années 80, tout n’a pas été délocalisé au même endroit en Asie. Les chaînes de valeur ont été fragmentées pour plus de rentabilité. Aujourd’hui, avec la relocalisation et l’économie circulaire, nous pouvons rapatrier les maillons riches en valeur ajoutée et plus proches des consommateurs. Notre lien à la consommation doit s’inverser pour prioriser l’accès à des équipements mutualisés, partagés en fabriquant des produits plus robustes afin d’augmenter le niveau de services offerts, en ajoutant le modèle de l’économie de la fonctionnalité : on ne vend pas un produit, mais une fonction et une performance. Les opportunités sont donc énormes. »
Que doit faire une entreprise pour y parvenir ?
« C’est le cœur de notre travail chez EcoRes. Nous fédérons les parties prenantes internes avec un travail collectif d’identification des opportunités et des risques d’absence de transition. Nous faisons une cartographie complète des flux de ressources et de matières, tant dans une dynamique d’économie circulaire que d’impact et d’adaptation aux changements climatiques. Nous proposons aussi de visiter des solutions existantes, l’inspiration montre où l’entreprise se situerait au terme de sa transformation en transition. Intervient la double matérialité avec les normes européennes ESG qui obligent les entreprises à considérer leur robustesse face aux évolutions et changements climatiques, mais aussi à envisager les conséquences de leurs choix sur l’environnement. Enfin, la réussite de la “transition matérielle’’ repose sur des leviers immatériels. Change management, sensibilisation, formation ou mise en place de projets-tests induisent une spirale positive qui entraîne la majorité des acteurs. »
Que manque-t-il pour que l’économie circulaire devienne la norme ?
« La situation est encore très confortable avec une économie boostée par le pétrole. Il faut sortir de cette illusion où nous ne payons pas le vrai prix social et environnemental des objets, des ressources naturelles et encore moins de l’énergie. Les décideurs doivent devenir courageux. Des chocs, comme ceux de ces dernières années, seront nécessaires pour comprendre nos ultra-dépendances, alors que nous sommes assis sur l’or des mines urbaines. Avec des ressources moins accessibles, les prix augmentent, ce qui engendrera de plus en plus d’obligations et de contraintes, à l’image du Green Deal européen, qui doivent s’appliquer à tous les acteurs d’un secteur. Dès lors, des accompagnements seront indispensables pour innover autrement, de façon plus durable et résiliente. Grâce aux économies circulaires et de la fonctionnalité et au biomimétisme (visant à imiter les solutions développées par la nature depuis des millénaires), nous pouvons y arriver. »
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Quelles sont les personnalités qui vous inspirent ?
« J’ai envie de citer deux personnes : Bruno Colmant, économiste qui a notamment dirigé la Bourse de Bruxelles, et Jacques Crahay, dirigeant de l’entreprise Cosucra et ancien président de l’Union wallonne des entreprises. S’ils ont deux profils différents, ils sont tous les deux en transition et en recherche pour repenser l’équation économique face aux enjeux du changement climatique. »