Interview par Pierre Lagneaux

Dominique Demonté : « Nous devons rester ambitieux »

Après quatre ans au sein d’Agoria, la fédération de l’industrie technologique, Dominique Demonté reprend les rênes du BioPark de Charleroi. L’occasion de voir avec lui quels sont les enjeux du secteur des biotechnologies en Wallonie.

Vous êtes depuis peu le nouveau CEO du BioPark de Charleroi. Comment se porte le secteur des biotechnologies ?

« Entre 2005 et 2020, on est passé de 9000 à 19 000 emplois en Région wallonne. Et en termes d’investissement, le chiffre d’affaires du secteur a progressé de 1,5 à 8,5 milliards. Point très important, un tiers de celui-ci est réalisé à l’exportation. Notre marché intérieur est trop petit et la majorité de ce qu’on fait est donc destiné à l’international. Il y a eu une phase de ralentissement post-Covid à l’international, mais la machine redémarre. Il ne faut donc pas s’inquiéter pour ce secteur en Wallonie.

Aujourd’hui, la Wallonie fait partie des acteurs de niveau mondial. Nous sommes reconnus et n’avons plus rien à prouver, mais nous devons rester ambitieux. Nous avons tous les atouts en main. Nous possédons de grosses entreprises. Ce sont des moteurs essentiels. Nous avons développé un tissu de PME innovantes. Nous avons alimenté un pipeline, structuré l’incubation, tissé des liens avec des fonds d’investissement… Tout a été mis en place pour développer cette croissance et ça a marché. »

Ça à l’air simple comme ça, mais comment y parvient-t-on ?

« Il faut jongler avec trois facteurs importants : articuler différents échelons, différents acteurs et différentes fonctions. 

Trois échelons composent le premier axe. D’abord le sous-régional où on peut nucléer et structurer une organisation comme le BioPark. Ensuite, il y a le niveau régional avec BioWin et une indispensable concertation pour éviter de gaspiller l’argent public. Enfin, il faut voir au niveau national comment on peut se connecter aux autres acteurs.À chaque changement de niveau, il faut aussi considérer les niveaux de compétition. 

Ensuite, pour développer un campus comme celui-ci, il est primordial de conserver l’alignement entre trois acteurs : les universités, le secteur privé et les pouvoirs publics.

Le troisième axe, c’est de travailler sur les différentes fonctions : la recherche, l’incubation, la création d’entreprise et la formation.  

Si on veut avoir une stratégie de développement, il faut aligner ces différents éléments. On a réussi à le faire de façon relativement efficace en Wallonie et le BioPark en est la preuve. »

La recherche de talents, la formation et la mise en place de parcours pour qu’il y ait plus de personnes qui accèdent au biomédical font partie de mes priorités.

Dans cette stratégie, la recherche est primordiale, mais elle nécessite des talents. N’est-ce pas difficile de trouver des personnes qualifiées ?

« Effectivement, un des gros enjeux est le manque de talents. Au sein du BioPark, nous avons créé notre propre centre de formation d’où sortent mille personnes par an. C’est aussi un enjeu impliquant plusieurs acteurs et nous avons conclu des partenariats avec le Forem et Aptaskil. Par ailleurs, dans un avenir proche, nous accueillerons sur notre campus l’Euro Biotech School, pilotée par des grandes entreprises BioWin et Essenscia.

La recherche de talents, la formation et la mise en place de parcours permettant à davantage de personnes d’intégrer le biomédical font partie de mes priorités. Si on va dans les rues de Charleroi et qu’on demande aux jeunes s’ils savent qu’il y a un BioPark dans leur commune, ils répondront probablement : “Ah ! On un zoo à Charleroi ?”. Il y a donc tout un travail d’information à faire en amont. Le talent est un levier indispensable. »

Le BioPark exerce une grande attractivité. Quelle est la recette de ce succès ?

« En 2000, le BioPark employait une centaine de chercheurs. Aujourd’hui, on compte trois mille deux cents travailleurs. Nous avons développé des capacités de recherche, mais nous avons également mis en place une politique de création et d’attraction d’entreprises. Il y a eu différentes phases. Nous avons développé un système d’incubation pour les premiers spins off de l’ULB que nous avons accueillis. Ensuite, des sociétés d’autres universités ont réalisé que le site était propice à leur développement. Enfin, nous avons accueilli des entreprises internationales. Elles y trouvent un intérêt : elles profitent d’un environnement scientifique et elles ont accès aux compétences de l’IBMM et du CMMI. Nous avons alors mis en place des mécanismes de consolidation avec des investisseurs. Aujourd’hui, grâce à cette dynamique, nous accueillons une soixantaine d’entreprises sur le site et le réseau BioPark en regroupe une centaine. »

BioPark

A vous entendre, la biotechnologie est en plein développement. D’où vient son financement ?

« Il se fait à plusieurs niveaux à l’aides d’investissements publics et privés pour soutenir la recherche et les entreprises. Il y a un rôle majeur joué par des acteurs publics régionaux mais aussi par des Fonds européens comme les Fonds FEDER ou le plan de relance. Ils apportent des moyens permettant de lancer des projets ambitieux. Ces projets FEDER associent universités et entreprises pour développer de nouvelles compétences de recherche utiles à la fois à la recherche fondamentale et au développement du tissu industriel. Ils ont joué un rôle majeur dans le développement du BioPark. Des réseaux d’investisseurs privés nationaux et internationaux se sont aussi développés.  Ceci étant indispensable pour le développement des entreprises. »

Mais ne faudrait-il pas des fonds d’investissements plus importants en Belgique ? 

« En effet, on se retrouve avec des entreprises qui, pour pouvoir continuer leur croissance, sont rachetées par des groupes internationaux. Ça peut être positif, mais il y a aussi un risque de délocalisation. Il nous faudrait des capacités de financement un peu plus importantes afin de maintenir un ancrage régional/national dans la stratégie de ces entreprises. »

C’est donc la combinaison de plusieurs ingrédients qui permettent un développement comme celui du BioPark de Charleroi ?

« Oui, et toutes ces mécaniques se retrouvent sur tous les campus scientifiques. Il faut de la recherche, des infrastructures, du capital, des talents, et enfin, il faut animer la communauté. J’aime me définir comme un joyeux organisateur. Comme en cuisine, si on a tous les ingrédients on peut faire une bonne mayonnaise, mais idéalement il faut un bon cuisinier. C’est ce que je m’efforce d’être. C’est un travail de longue haleine : il a fallu vingt ans pour développer le campus du BioPark. »

16.03.2023
par Pierre Lagneaux
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