aéroport
Supply Chain

« Dans l’aviation, chaque jour est un jour nouveau! »

04.06.2020
par Fokus Online

Exemple emblématique de la complexité de la supply chain: les aéroports. Car les couloirs que nous arpentons le temps d’un voyage cachent en réalité une organisation gigantesque et minutieuse. Découverte des coulisses avec Philippe Verdonck, CEO du Brussels South Charleroi Airport, le deuxième du pays.

La gestion d’un aéroport dépasse de loin celle des passagers, même s’ils ont du mal à se le représenter?

« C’est tout-à-fait ça! En fait, je résume souvent en disant que le principal flux de données que l’on ne voit pas dans un aéroport, c’est celui de l’organisation que requière l’aéroport lui-même. Chaque jour est un jour nouveau, on ne se repose jamais sur nos lauriers. »

Un aéroport représente une multitude de maillons de la supply chain. C’est de là que vient la complexité de l’organisation?

« Il faut effectivement relier entre eux plein de maillons de la chaîne pour que le client soit totalement satisfait de son passage chez nous. La difficulté vient surtout du fait que, bien que nous entretenions d’excellentes relations avec nos partenaires, nous jonglons avec des concessions. Qu’il s’agisse de magasins ‘duty free’, des enseignes proposant de la restauration, ou encore les sociétés qui organisent les navettes permettant de rejoindre l’aéroport le plus facilement possible et pour lesquelles nous ne sommes pas aux commandes. Ces dernières sont essentielles pour garantir une bonne expérience dans notre supply chain. Parce que si elles opèrent avec du retard ou sont mal organisées, elles causent de la nervosité dans le chef des passagers, voire du retard. Ce qui fait que, dans les deux cas, ces derniers ne s’attarderont pas, ou peu, dans les autres magasins. »

Pourquoi insistez-vous à ce point sur le rôle des magasins dans les aéroports?

« Parce qu’aujourd’hui, plus que tout le reste, ce sont les achats effectués par les passagers qui font vivre un aéroport! Désormais, on peut tout y acheter, et il n’est pas rare que l’on y fasse quelques courses avant d’embarquer. C’est bien cela qui a changé. Il y a quelques années encore, les aéroports n’avaient pas connu cette évolution et restaient cantonnés au transport de personnes. Mais aujourd’hui, les métiers ont véritablement muté. Il nous incombe de vendre un produit et une expérience au plus proche de l’excellence, c’est cela qui suscitera l’engouement pour un aéroport. Ce qui représente donc un gigantesque défi en termes de supply chain. »

Sans oublier toute la logistique autour de l’aéroport, qui en constitue quelque part l’écosystème…

« Oui. On parle alors non seulement des navettes, mais aussi des parkings. Où il faut offrir un service irréprochable tant en accessibilité qu’en sécurité ou, encore, en facilité! Parce qu’il faut trouver de la place pour laisser sa voiture, et la retrouver en parfait état quand on revient. »

Comment encore améliorer ces services permettant l’accessibilité à l’aéroport?

« Notamment par le système dit de “Board to gate”, c’est-à-dire que l’on pourrait imaginer un check-in dans les navettes amenant les gens à l’aéroport. Comme ça, une fois dans nos murs, ils n’auraient plus à se soucier ni de leurs bagages ni de faire la file pour leur boarding pass. C’est une solution “zéro stress”… »

Parmi tous ces services « connexes », que représente la gestion des bagages des passagers?

« C’est sans doute le service le plus fondamental qui soit dans toute notre chaine de flux. Puisqu’il est impensable qu’un passager arrive à destination sans son bagage. Voilà pourquoi cette partie de nos activités est très surveillée et soignée. »

Actuellement, on parie de plus en plus sur une reprise des déplacements en train, notamment avec la réouverture de la liaison de nuit entre Bruxelles et Vienne. Quel est votre point de vue?

« Je ne le vois en tout cas pas comme une concurrence. On sait bien que pour généraliser ce genre de trajet, il faudra faire un énorme effort en termes d’infrastructures. Et cela pourra encore mettre plus de 20 ans. Et puis, je crois que si quelqu’un veut se rendre à Vienne en 90 minutes, l’avion reste la meilleure solution. Car la question est aussi: est ce que les passagers seront enclins à voyager durant des heures dans un espace confiné? Il n’y a pas que l’argument écologique qui entre en jeu. »

La crise du Coronavirus a paralysé l’aéroport. On apprend quoi en termes de gestion, durant ce genre de période?

« Qu’il faut gérer à la fois l’anticipation et la frustration. L’anticipation car il faut sans cesse mettre sur pied des plans de relance sur base de projections et des dates de reprise prévues. Ce sont donc des opérations assez complexes à réaliser, qui génèrent leur lot de frustrations, lorsqu’on élabore ces plans de relance pour rien. D’autant qu’on s’attend à un redéploiement très progressif: notre top 3 des destinations est la France, l’Italie et l’Espagne, et ce sont donc trois pays vecteurs de beaucoup de stress. Et puis, autre question épineuse : même quand toutes les frontières seront rouvertes, le passager se décidera-t-il repartir dans le foulée? C’est une inconnue de plus, qui doit aussi figurer dans nos scénarios d’anticipation. »

Mais, crise ou pas, l’anticipation reste de toute façon au cœur de votre gestion, non?

« Oui, et la première anticipation est celle du nombre de passagers attendus ici chaque jour. Nous sommes effectivement capables d’identifier les périodes d’affluence, qui correspondent aux départs en vacances, mais nous ne sommes jamais à l’abri de surprises. D’un autre côté, l’aéroport de Charleroi possède un excellent taux de remplissage général, puisque les avions qui partent d’ici sont toujours pleins au moins à 90  %. Quand ils sont remplis durant les vacances, ça ne représente donc que 10 % de plus. Ce qui est assez simple à calculer avec une marge d’erreur réduite. »

SMART FACT.

Si je n’avais pas été…

« L’aéronautique m’a toujours attiré. Et j’ai en tout cas toujours eu envie de gérer, de manager et de mettre de la qualité dans les choses. Maintenant, c’est à l’aéroport de Charleroi, magnifique outil qui a encore de très beaux et longs jours devant lui. Je n’ai jamais pensé à mettre mon perfectionnisme, parfois envahissant, au service de quelque chose de très différent. Mais je n’aurais en tout cas pas peur de changer totalement de secteur. Et me retrouver loin de l’aviation, mais si cela me passionne depuis très longtemps. »

Article précédent
Article suivant