Cédric Blanpain
Interview

Cédric Blanpain: « En communauté française, les moyens dont nous disposons sont insuffisants »

18.11.2021
par Bastien Craninx

Vous êtes lauréat du prix Francqui-Collen en 2020. Que va changer cette récompense dans votre quotidien et surtout dans l’avancée de vos recherches ?

« Le prix Francqui est la plus haute distinction scientifique belge. Cela couronne une quinzaine d’années d’effort de mon laboratoire et de toutes les personnes qui travaillent avec moi. En revanche, le fait d’avoir reçu ce prix ne va pas changer grand-chose dans mon quotidien. Je vais toujours devoir faire des demandes de crédit pour permettre la continuité de nos recherches. Il est possible que grâce à ce prix, les meilleurs étudiants continuent à s’intéresser à nos recherches et à vouloir se lancer dans un doctorat ou un postdoctorat dans mon labo. » dit Cédric Blanpain.

Diriez-vous qu’aujourd’hui plus que jamais la recherche est primordiale ?

« Tout à fait ! On se rend compte que notre société fait face à des défis toujours plus grands : le réchauffement climatique, la pénurie alimentaire, le manque d’eau potable, l’émergence de maladies nouvelles, j’en passe et bien d’autres. Toutes ces questions demandent des réponses. Et pour cela, il faut effectuer des recherches nouvelles. Pour les maladies émergentes par exemple, il faut comprendre leur origine, trouver de nouveaux traitements et vaccins. Du côté des maladies chroniques existantes comme le diabète, le cancer ou les maladies cardiovasculaires, il faut améliorer la prévention, diminuer les effets secondaires des traitements existants et en trouver de nouveaux. » explique Cédric Blanpain.

Cédric Blanpain

Il y a donc encore beaucoup de boulot…

« L’un des grands défis de la recherche est comprendre comment les cancers naissent, grandissent, se disséminent dans d’autres organes et répondent ou non à la chimiothérapie, à la radiothérapie et à l’immunothérapie. Il faut que l’on comprenne mieux la raison pour laquelle un cancer n’est pas l’autre. Comprendre cela peut permettre de découvrir de nouvelles vulnérabilités. » raconte Cédric Blanpain.

Vous avez évoqué l’immunothérapie. On dit que c’est la plus grande révolution actuelle en termes de lutte contre le cancer. Est-ce vrai ?

« Sans aucun doute ! L’immunothérapie est un médicament qui empêche une communication permettant au cancer de se développer de manière importante. Il faut savoir qu’au bout d’un moment, le corps s’habitue à son cancer et ne développe pas de réaction immunitaire très forte contre ce dernier. Les cellules cancéreuses envoient un signal au système immunitaire pour lui dire “Ne me tue pas”. Grâce à l’immunothérapie, les cellules immunitaires se trouvent revigorées, boostées et se mettent alors à détruire le cancer. »

Croyez-vous qu’un jour nous serons en mesure d’éradiquer toutes les formes de cancer ?

« Je pense que nous comprendrons de mieux en mieux les différentes formes de cancers et trouverons des traitements pour la plupart d’entre eux. En revanche, éradiquer pour toujours ces cancers, c’est une autre histoire. Les cancers continuent à évoluer, comme les virus. Quand on trouve des traitements efficaces, certaines cellules cancéreuses trouvent la solution pour résister à ces derniers. Elles deviennent alors responsables de rechutes et de progressions sous traitement. Il faut donc trouver un moyen pour éviter que ces cellules ne résistent. De même, tous les cancers ne sont pas égaux. Il existe une grande diversité de voies responsables de la cancérisation. Donc cela prendra du temps avant de découvrir et de fabriquer des médicaments contre toutes ces voies. » explique Cédric Blanpain.

Je dois trouver en permanence de l’argent pour renouveler le contrat de mes chercheurs. C’est un stress énorme.

Quels seraient les plus gros freins à ce type de découvertes ?

« L’ensemble des moyens mis en œuvre et le nombre de chercheurs sont encore fort limités et limitants. Mais le plus gros problème reste la complexité du cancer en lui-même : la compréhension qu’on en a ainsi que la caractérisation des voies qui sont essentielles à sa survie. » dit Cédric Blanpain.

Quand vous parlez des moyens, évoquez-vous également les moyens financiers dont la recherche dispose ?

« Tout à fait ! Il faut bien l’avouer, en communauté française de Belgique, les moyens dont nous disposons sont insuffisants. Pour simple exemple, sur les 40 chercheurs que je supervise, seuls deux sont payés par l’université et le FNRS jusqu’à leur pension. Pour tous les autres, je dois trouver en permanence de l’argent pour renouveler leur contrat. C’est un stress énorme ! »

Y a-t-il une différence de financement entre le sud et le nord de notre pays ?

« Les Flamands ont créé le VIB pour Vlaams Institute voor Biotechnology en 1995 afin de permettre une recherche fondamentale de haut niveau avec des potentiels de valorisation industrielle. Le budget de la VIB n’a cessé d’augmenter et atteint maintenant plus de 100 millions par an. Les Wallons, quant à eux, ont créé le WELBIO il y a 10 ans. Aujourd’hui, son budget annuel est moindre qu’à sa création : 5 millions par an. Vous voyez la différence… Pour les grands équipements, il y a un appel à financement tous les ans en Flandre et un tous les 5 ans en Wallonie. Autre exemple : je ne me souviens pas avoir vu de nouveaux bâtiments de recherche dans les universités francophones alors que la KUL en construit un par an. »

« Le refinancement de la recherche à travers une meilleure dotation du FNRS, du WELBIO et des universités est donc indispensable chez nous. La Région wallonne vient d’allouer des moyens supplémentaires pour le WELBIO, c’est une excellente nouvelle qui va dans le bon sens. J’espère que les pouvoirs publics francophones vont continuer à investir plus de moyens dans la recherche. Il faut aussi penser à recruter des talents venant de l’étranger. Il faut accroître la diversité dans nos universités. » raconte Cédric Blanpain.

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Si vous n’étiez pas chercheur, vous seriez...

Médecin sans aucun doute ! J’aurais continué à pratiquer la médecine. J’aimais beaucoup ce métier aussi. En fait, j’adore le contact avec le patient et l’idée d’obtenir des résultats immédiats. Mais une chose est sûre, je n’aurais jamais pu me passer du côté médical dans ma vie professionnelle.

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