Interview par Louis Matagne

Étienne de Callataÿ : « La règle d’or, c’est de diversifier ses investissements »

Épargnant consciencieux, le Belge reste en revanche un investisseur frileux, ce qui lui ferme de belles opportunités. Mais comment trouver le juste équilibre afin d’optimiser son patrimoine ? Éléments de réponse avec l’économiste Étienne de Callataÿ.

On entend souvent que le Belge est un grand épargnant. C’est vrai ? 

« En réalité, ce n’est plus tout à fait le cas. Dans le temps, le Belge avait clairement un taux d’épargne supérieur à la moyenne européenne, mais il est aujourd’hui rentré dans le rang, justement parce qu’il a beaucoup mis de côté par le passé. En moyenne, les Belges n’épargnent donc plus autant qu’avant, mais on peut dire qu’ils sont riches grâce à l’épargne passée. »  dit Étienne de Callataÿ.

En tant qu’économiste, pensez-vous que l’épargne est un mécanisme nécessaire ?

« Sur le plan individuel, l’épargne a une très grande vertu : on ne sait jamais de quoi demain sera fait, et elle constitue une vraie sécurité. Si vous avez un accident de vie, que votre voiture ou votre chaudière lâche, avoir de l’argent de côté diminue évidemment votre charge mentale. Par ailleurs, l’épargne permet de préfinancer de projets futurs, ce qu’on appelle dans le jargon “un lissage intertemporel”. Pouvoir épargner est donc effectivement quelque chose que je souhaite à tout le monde, même si je n’en ferais pas ma priorité. En Wallonie, un enfant sur quatre grandit dans une famille pauvre. Avant d’espérer que ces familles épargnent, il est souhaitable qu’elles puissent vivre décemment… »

Le pendant de l’épargne, c’est l’investissement. Là, le Belge se montre traditionnellement plus timide.

« Si on parle d’actions, le Belge investit peu, en effet. Selon les informations chiffrées dont on dispose, il a globalement un comportement plus prudent avec son épargne que l’Américain, par exemple. Cela peut lui jouer des tours, car, dans la durée, cette peur le prive de rendements intéressants. » explique Étienne de Callataÿ.

Le Belge a globalement un comportement plus prudent avec son épargne que l’Américain.

Pour un particulier, quel serait, aujourd’hui, un « bon » investissement ? 

« Un investissement qui lui correspond. Il faut toujours se demander dans quelle mesure on va pouvoir le supporter. D’abord sur le plan psychologique : acheter un portefeuille diversifié d’actions est peut-être une bonne stratégie, mais si cela vous empêche de dormir, ce n’est pas une si bonne idée. Puis bien évidemment, sur le plan financier : si vous risquez de perdre votre travail ou d’avoir de gros frais sur votre voiture, investir dans des actions n’est peut-être pas une bonne idée non plus. On voit qu’investir n’est donc pas à la portée de tout le monde. Même si ce n’est pas qu’une question de compétences ou de moyens financiers. » 

L’investissement en bourse ne serait pas quelque chose de réservé à une petite frange de privilégiés ?

« Non. En fait, ce qui est important, c’est d’abord de bien déterminer la quote-part de son portefeuille que l’on peut dédier à l’investissement sans prendre trop de risques. Ensuite, on l’a déjà abordé, il faut diversifier son portefeuille d’actions. La diversification est très importante. En réalité, en Belgique, je crois qu’il y a énormément de gens qui pourraient dédier une partie de leur épargne à de l’investissement. Mais qui ne le font pas. » raconte Étienne de Callataÿ.

Étienne de Callataÿ

On parle souvent du « bon équilibre » à trouver entre l’épargne et l’investissement. À ce propos, quel conseil peut-on donner ? 

« Pour moi, une règle de bon équilibre, c’est de garder en actif liquide — sur un livret d’épargne ou en placement sûr — l’équivalent des dépenses vraisemblables pour les 12 à 24 mois qui viennent. Donc si vous avez en vue de gros travaux sur votre toiture, budgétez cela et ne l’investissez pas en bourse. Car le risque numéro un avec la bourse, c’est de devoir récupérer l’argent investi, en vendant les actions, à un moment où les cours sont déprimés. Ce code de conduite a l’air simple. Mais ce n’est pas toujours aussi évident, notamment si on veut garder un matelas d’épargne en cas de soucis. »  

Mais n’existe-t-il pas d’investissements plus sûrs que ceux en bourse, que vous évoquez ? On pense à l’immobilier par exemple.

« La règle d’or, c’est de diversifier ses investissements. Souvent, le particulier qui investit dans l’immobilier achète près de chez lui. Il déroge alors à la règle d’or de la diversification, tant sur le plan géographique que sectoriel. Et concentre fortement le risque. Si une crise immobilière se présente et qu’il a tout mis dans l’immobilier, c’est problématique. Cela étant dit, investir dans l’immobilier a ses bons côtés. Il y a une tangibilité rassurante à investir dans un bien. Et une dimension “plaisir” évidente. Sans oublier un effet de levier potentiel. Mais une chose est certaine : il ne faut pas croire au père Noël, la valeur sûre et très rentable n’existe pas. » dit Étienne de Callataÿ.

En 2016, vous avez co-fondé Orcadia, société de gestion spécialisée dans les investissements responsables. De quoi s’agit-il ? 

« L’investissement responsable tente de concilier deux catégories d’investissements : l’investissement classique usuel, qui ne se préoccupe pas de l’incidence environnementale, sociale ou de bonne gouvernance des entreprises (ce qu’on appelle le bulletin ESG), et l’investissement “à impact”, qui à l’inverse en fait un critère exclusif, quitte à faire passer le rendement au second plan. L’investissement responsable, c’est chercher les entreprises qui font mieux que d’autres en matière d’ESG, sans pour autant sacrifier le rendement ni prendre de risques excessifs. Ce type d’investissement est aujourd’hui minoritaire. Mais il devient “mainstream”. Je pense qu’actuellement 25 à 33 % des nouveaux investissements des ménages belges se font dans des fonds à finalité responsable. » 

Smart
fact

Quelle personnalité vous inspire ?

Greta Thunberg. L’enjeu majeur de notre société est climatique, et je trouve qu’en la matière, c’est bien elle la personnalité la plus emblématique. Elle vient avec une radicalité, certes détonante, mais que je trouve très appropriée. Elle en agace certains ? C’est vrai, mais au vu de ce que nous traversons, je crois qu’il faut oser bousculer.

16.12.2021
par Louis Matagne
Article précédent
Article suivant