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Réindustrialiser nos entreprises, un processus capital

03.04.2019
par Fokus Online

Notre économie vit un phénomène de réindustrialisation de ses entreprises. Grâce à l’automatisation doublée d’une recherche de gestion optimale du capital humain et des compétences du futur. Trois experts témoignent de l’évolution en cours.

Dominique Demonté
Directeur Général de AGORIA Wallonie

Qu’entend-t-on par réindustrialisation?

« C’est une transformation profonde pour entrer dans l’industrie 4.0, qui induit l’automatisation/robotisation de nos entreprises. Ce processus pose une question centrale: l’impact sur l’emploi. Sur ce sujet, on est passé d’une vision alarmiste à une vision positive, tant pour les travailleurs que les employeurs. Des études de 2018 (Acerta, Manpower ou Deloitte) en attestent. On estime que la réindustrialisation entraînera des pertes d’emplois mais largement compensées par la création de nouveaux. Une étude Agoria pointe que pour un job supprimé, 3,7 seraient créés ou maintenus. Le vrai défi se situe dans la gestion du capital humain et l’accompagnement des compétences, et la formation pour la reconversion des travailleurs. »

Ce processus s’opère de quelle manière chez nous?

« Il est déjà une réalité. Celle vécue par des sociétés comme Atlantic de Seneffe spécialisée en chaudières/boilers ou JTEKT Torsen de Strépy, à la pointe en différentiels de 4×4 auto. En méforme, elles ont fortement investi dans l’automatisation. Depuis, la première a augmenté sa productivité de 50 % et la seconde a retrouvé une production et des rentrées appréciables. Toutes deux sont remontées à un niveau de personnel important (100 et 200 personnes). Réindustrialiser ne tue pas l’emploi, cela le change. Beaucoup d’initiatives soutiennent cette évolution. À cet égard, notre structure Agoria pousse des programmes comme Be the Change, Made Different ou Factory of the Future. »

Pourquoi réindustrialiser nos entreprises est capital pour la survie économique de notre pays?

« Cette tendance lourde est incontournable. Indispensable. Bien l’accompagner, en valorisant le capital humain, créera de la croissance et retissera un maillage économique moderne dans notre pays. Cela ramènera de l’activité et de l’emploi tout en permettant à beaucoup d’entreprises de rebondir. Pour cela, celles-ci doivent être sensibilisées à l’importance de l’automatisation, évoluer dans un environnement favorable, avec les compétences ad hoc et les talents nécessaires à l’industrie 4.0. Cet effort doit aussi être épaulé par des écosystèmes d’innovation associant universités, PME de haut niveau, start-up… Ce contexte dynamique permettra à des filiales de grands groupes internationaux de défendre en interne la compétitivité de leur site belge. »

Marco Veri
Directeur de SOCABELEC, Ham-sur-Sambre

Qu’entend-t-on par réindustrialisation?

« Après une vague de délocalisation de l’industrie vers les pays de l’Est et leur main-d’œuvre meilleur marché, la réindustrialisation actuelle consiste à assurer ici l’implantation, le maintien ou le développement de moyens de production qui permettent la transformation ou l’assemblage de matériaux. Avec des produits finis destinés au marché local autant qu’international. La clé industrielle est l’automatisation des unités de production garantissant plus d’efficacité, de flexibilité, des coûts compétitifs et nécessitant aussi du personnel qualifié. La sensibilisation du public aux coûts environnementaux et la tendance à acheter local et circulaire, favorisent ce retour à ramener la production en Belgique. »

Ce processus s’opère de quelle manière chez nous?

« Ma société Socabelec fait partie des sociétés belges de services spécialisées dans l’automatisation et la robotique. Nous créons des nouveaux équipements automatisés qui accentuent la souplesse et l’efficience des moyens de production. Cela aide à maintenir nos industries ici. Nous avons développé notre propre robot pour la lubrification des moules de production de bouteilles en verre – action encore manuelle avant ça! Notre robot est breveté et vendu dans le monde entier. De plus, tous nos sous-traitants et fournisseurs sont basés en Belgique. Chimie, industrie pharmaceutique et automobile sont depuis longtemps automatisés. Mais le phénomène gagne la plupart des entreprises tous secteurs confondus. »

Pourquoi réindustrialiser nos entreprises est capital pour la survie économique de notre pays?

« La Belgique jouit d’un environnement socio-économique et politique favorable pour la promotion de l’industrie du digital, du biotech et d’un virage 4.0 dont l’industrie doit tirer avantage pour rebondir. Le tissu industriel apporte des opportunités de collaboration et d’innovation aux fournisseurs d’équipements. Dans ce climat, les sociétés de services actifs dans plusieurs secteurs peuvent apporter des solutions parfois révolutionnaires à une demande, un besoin industriel. Leur force? La fusion entre leurs compétences accumulées. Y compris l’expertise classique d’un secteur, telle que la nôtre dans le domaine du verre. Allier la mémoire traditionnelle d’un métier à l’intelligence 4.0 est un levier central de notre avenir économique. »

Jean-Pierre Vanbostal
Directeur de production et développement textile De Poortere, Mouscron

Qu’entend-t-on par réindustrialiser?

« C’est un processus en cours en Belgique. Il prend plusieurs formes: rapatriement d’une industrie auparavant délocalisée; création de nouveaux produits; installation d’outils neufs plus productifs. Oui, dans un premier temps, l’automatisation pourra relancer notre économie, mais les pays low cost suivront le même chemin. Quand nous achetons en Europe 10 machines sophistiquées par an dans notre secteur textile, les Chinois en achètent 1000! Chez De Poortere, nous travaillons uniquement en B2B et axons notre futur sur le choix, la réactivité et la qualité. Nous nous réindustrialisons selon nos capacités. À côté de nos grandes machines nous avons investi dans des petites machines pour produire aussi des pièces de 40 mètres et parfois moins… »

Ce processus s’opère de quelle manière chez nous?

« Hélas, ce sursaut ne s’applique pas à mon secteur textile sauf exception. La majorité des acteurs textiles peinent à investir car leurs marges commerciales sont très faibles. Nous souffrons de l’importation massive de textiles fabriqués à bas prix en Chine, en Inde, en Turquie. Pourtant des solutions existent à la relance des entreprises textiles belges: une sensibilisation au rôle capital du textile dans nos vies car un pansement ou un filet agricole est tricoté par du matériel haute technologie. Une formation d’urgence des jeunes au textile en milieu scolaire, un système d’aides réelles aux sociétés pour favoriser la production locale, développer de nouveaux produits, de nouveaux marchés, investir… Il faut un sursaut durable. »

Pourquoi réindustrialiser nos entreprises est capital pour la survie économique de notre pays?

« Parce que seuls les secteurs primaire et secondaire peuvent produire de vraies richesses à long terme. Et sans ces richesses, le patrimoine de la Belgique s’épuisera, nos rues commerciales seront encore plus désertes qu’aujourd’hui… Parce que sans emplois notre société risque le chaos… Parce qu’à terme ne conserver que la recherche et le développement en Belgique est une utopie. Produire, c’est chercher et développer tous les jours. Ce sont les problèmes qui mènent aux solutions. Enfin, parce que réindustrialiser est capital pour la Belgique car un pays industrialisé est un pays plus autonome. »

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